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Regeste
Sachverhalt
Extrait des considérants:
4. Le litige porte sur la confirmation par la Cour de justice de  ...
5. Le régime de la LSE en lien avec la location de service ...
6. Dès lors qu'il ne peut y avoir de location de services  ...
7. Dès lors qu'il existe une relation de travail entre Ube ...
8. En résumé, il ressort des documents contractuels ...
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33. Extrait de l'arrêt de la IIe Cour de droit public dans la cause Uber Switzerland GmbH contre Office cantonal de l'emploi du canton de Genève (recours en matière de droit public)
 
 
2C_575/2020 du 30 mai 2022
 
 
Regeste
 
Art. 12 AVG; Art. 26 AVV; Art. 319 OR; Personalverleih; digitale Plattform, die Essenslieferungen nach Hause anbietet (Uber Eats).
 
 
Sachverhalt
 
BGE 148 II 426 (427)A.
A.a La société à responsabilité limitée Uber Switzerland GmbH (ci-après: Uber CH), inscrite depuis le 27 mars 2013 au Registre du commerce du canton de Zurich et de siège à Zurich, est une des sociétés du groupe Uber, dont la société mère est Uber Technologies Inc., sise à San Francisco aux Etats-Unis. Uber CH est entièrement détenue par Uber International Holding B.V., dont le siège est à Amsterdam aux Pays-Bas et qui en est également l'associée sans pouvoir de signature. Uber CH a notamment pour but statutaire de fournir des services de marketing et de soutien à d'autres entreprises (apparentées) en relation avec des services liés aux services de transport à la demande et aux services de livraison à la demande par le biais d'appareils mobiles et de services de soutien sur internet et de services connexes (a), ainsi que de fournir des services de diffuseurs de courses (c). Elle peut, pour ce faire, établir des succursales en Suisse et à l'étranger.
A.b Uber Portier B.V. (ci-après: Uber Portier), de siège à Amsterdam, est une autre société du groupe Uber, dont l'unique actionnaire est Uber International B.V., également de siège à Amsterdam. (...)
A.c Le groupe Uber dispose de locaux à Genève, sis à la route de Saint Julien à Carouge. (...)
A.d Uber Eats (ci-après également: l'application ou la plateforme) est l'une des plateformes numériques développée par le groupe Uber. Elle propose un service de livraison de plats à domicile. Uber Portier détient les droits sur cette application.
B.
B.a Entre fin 2018 et début 2019, des rencontres ont eu lieu entre des représentants du groupe Uber et l'Office cantonal de l'emploi du canton de Genève (ci-après: l'Office cantonal), afin de déterminer si les activités déployées à Genève au moyen de l'application Uber Eats relevaient de la location de services, soumise à autorisation.
Les représentants du groupe Uber ont remis différents documents à l'Office cantonal, notamment:
- le "contrat de services technologiques" (CST), qui lie Uber Portier à une personne physique, lui permettant d'exécuter des demandes de livraison provenant d'un utilisateur autorisé par la plateforme, à savoir un restaurateur. Ce contrat règle l'activité des livreurs;BGE 148 II 426 (427)
BGE 148 II 426 (428)- une "lettre de contrat-cadre directeur Uber Eats" (contrat-cadre), complétée par un "Addenda Marketplace", qui lie Uber Portier et un restaurateur concernant la plateforme mise à disposition par Uber Portier ou ses sociétés affiliées pour demander des services de livraison. (...)
B.c Par décision du 11 juin 2019, déclarée exécutoire nonobstant recours, l'Office cantonal (...) a enjoint à Uber CH d'inscrire sa succursale de Genève au Registre du commerce de Genève, a assujetti cette succursale à la loi fédérale du 6 octobre 1989 sur le service de l'emploi et la location de services (loi sur le service de l'emploi, LSE; RS 823.11) en application des art. 12 et 13 LSE, ainsi que 26 à 29 de l'ordonnance du 16 janvier 1991 sur le service de l'emploi et la location de services (ordonnance sur le service de l'emploi, OSE; RS 823.111) et a imparti un délai de 30 jours à Uber CH pour lui faire parvenir un dossier complet de demande d'autorisation, faute de quoi les peines prévues par la loi seraient prononcées et la cessation des activités de la plateforme Uber Eats ordonnée.
B.d Uber CH a formé un recours auprès de la Chambre administrative de la Cour de justice du canton de Genève (ci-après: la Cour de justice) contre la décision du 11 juin 2019, que celle-ci a rejeté par arrêt du 29 mai 2020. (...)
Le Tribunal fédéral a admis le recours en matière de droit public d'Uber CH.
(extrait)
 
4.1 Dans son arrêt, la Cour de justice a tout d'abord retenu que la recourante devait être considérée comme partie aux relations contractuelles avec les livreurs et les restaurateurs, même si les contrats principaux respectifs étaient conclus avec Uber Portier. Elle a ensuite considéré que la relation contractuelle entre la recourante et les livreurs devait être qualifiée de relation de travail, compte tenu du rapport de subordination existant, et celle entre la recourante et les restaurateurs de location de services. Une autorisation était partantBGE 148 II 426 (428) BGE 148 II 426 (429)nécessaire. Selon la Cour de justice, le bureau à Genève de la recourante, sis dans un autre canton que celui du siège principal (Zurich), constituait non pas une simple adresse postale, mais une section d'établissement devant être transformée en succursale pour satisfaire aux exigences de l'art. 12 LSE. L'Office cantonal était compétent pour ordonner à la recourante de procéder à l'inscription de cette succursale au Registre du commerce genevois.
Pour examiner si l'on se trouve dans une situation de location de services, il sera fait référence à Uber sans autre précision quant à l'entité du groupe visée.
5.1 La LSE régit la location de services (art. 1 let. a LSE), mais ne définit pas cette notion. La location de services désigne des relations tripartites entre un employeur (bailleur), une entreprise locataire et un travailleur (ATF 148 II 203 consid. 3.3.2; arrêt 2C_132/2018 duBGE 148 II 426 (429) BGE 148 II 426 (430)2 novembre 2018 consid. 4.3.2; cf. Message du 27 novembre 1985 concernant la révision de la loi fédérale sur le service de l'emploi et la location de services, FF 1985 III 524, 533 s.). La location de services implique ainsi deux contrats: d'une part un contrat de travail au sens des art. 319 ss CO entre le bailleur de services et le travailleur (cf. art. 19 LSE; ATF 145 III 63 consid. 2.2.1; ATF 119 V 357 consid. 2a) et, d'autre part, un contrat de location de services entre le bailleur et le locataire de services (cf. art. 22 LSE; ATF 137 V 114 consid. 4.2.1; ROMAIN FÉLIX, Location de services versus autres contrats de prestations: critères de distinction, Rémy Wyler [éd.], in Panorama III en droit du travail, 2017, p. 779 ss, 782; FABIAN LOOSER, Der Personalverleih, 2015, p. 116 n. 350, 118 n. 355). L'existence d'un contrat de travail est ainsi une condition préalable à toute situation de location de services au sens de la LSE.
Dans le canton de Genève, l'Office cantonal de l'emploi est l'autorité compétente pour l'application de la LSE (art. 2 de la loi cantonale genevoise du 18 septembre 1992 sur le service de l'emploi et la location de services [LSELS; rs/GE J 2 05]; art. 1 du règlementBGE 148 II 426 (430) BGE 148 II 426 (431)d'exécution du 14 décembre 1992 de la loi sur le service de l'emploi et la location de services [RSELS; rs/GE J 2 05.01]).
5.4 L'art. 27 OSE distingue trois formes de location de services: le travail temporaire, le travail en régie et la mise à disposition occasionnelle de travailleurs. Selon l'art. 28 al. 1 OSE, la location de services n'est soumise à autorisation que sous la forme du travail temporaire et de la mise à disposition de travailleurs à titre principal (travail en régie). En cas de travail temporaire (ou travail intérimaire), l'employeur ne conclut pas, dans un premier temps, de véritable contrat de travail avec son employé, mais un contrat-cadre, soit une convention générale de services permettant d'obtenir l'adhésion du travailleur à ses conditions de travail. Il lui propose ensuite un contrat de mission dans une entreprise tierce. Si le travailleur accepte la mission offerte, alors il conclut un contrat de travail effectif avec l'agence de placement. Le salaire n'est pas dû entre deux missions (ATF 137 V 114 consid. 4.2.2). Quant au travail en régie, il se caractérise par le fait que le travailleur est engagé en vue de la location de ses services à diverses entreprises clientes. Cependant, contrairement au travail temporaire, la durée du travail est en principe indépendante des missions effectuées dans les entreprises clientes. Le travailleur demeure lié par un contrat de travail durable avec son employeur. Celui-ci supporte donc le risque éventuel d'inactivité du travailleur entre deux placements. On parle dans ce cas de travail intérimaire improprement dit (ATF 137 V 114 consid. 4.2.2).
6.1 La plateforme Uber Eats pour la livraison de repas (de même que la plateforme Uber pour le transport de passagers avec chauffeur) est une plateforme numérique de travail proposant une prestation de travail rémunérée (cf., sur les différents types de plateformes, Conseil fédéral, Conséquences de la numérisation sur l'emploi et les conditions de travail: opportunités et risques, rapport du 8 novembre 2017 [ci-après: conséquences de la numérisation], p. 40; Conseil fédéral, rapport sur les principales conditions-cadre pour l'économie numérique, 11 janvier 2017 [ci-après: rapport sur les conditions-cadre], p. 72 ss; BASSEM ZEIN, Travail pour les plateformes: quelles relations contractuelles?, PJA 2018 p. 711 ss, 712). Il est précisé que laBGE 148 II 426 (431) BGE 148 II 426 (432)qualification de "plateforme numérique de travail" n'a pas d'implication quant à l'éventuelle existence d'un contrat de travail. Une société qui gère une plateforme numérique de travail peut être un simple intermédiaire entre des clients et des prestataires de services. Il n'y a alors pas de contrat de travail entre elle et les personnes qui offrent leurs services (cf. KURT PÄRLI, Arbeits-und sozialversicherungs-rechtliche Fragen der Sharing Economy, 2019, p. 3 à 5, 118 à 120 [ci-après: Sharing Economy]; RENÉ HIRSIGER, Plattformbeschäftigungen, DTA 2019 p. 291 ss, 294; Conseil fédéral, rapport sur les conditions-cadre, p. 72 à 74). Il faut examiner la structure de la plateforme mise en place par la société concernée pour déterminer s'il s'agit d'un simple intermédiaire (cf. par exemple arrêt 2C_500/ 2016 du 31 octobre 2016 consid. 3.4 à propos de la plateforme Uber pour le transport de passagers). Une société qui gère une plateforme numérique de travail peut aller au-delà de la simple mise en relation entre des clients et des prestataires, en offrant elle-même directement une prestation dont elle fixe les contours. Dans ce cas, la question se pose de savoir si les prestataires auxquels elle recourt pour exécuter cette prestation sont dans une relation de travail avec elle ou demeurent indépendants (cf. HIRSIGER, op. cit., p. 299 ss; ZEIN, op. cit., p. 719 ss; KURT PÄRLI, Neue Formen der Arbeitsorganisation, Internet-Plattformen als Arbeitgeber, DTA 2016 p. 243 ss, 249 [ci-après: Neue Formen]).
A noter que le fait qu'une société gérant une plateforme numérique de travail soit un employeur ne signifie pas encore que, vis-à-vis du ou des destinataire(s) de la prestation, on se trouve dans une situation de location de services. En revanche, on peut relever, parmi les autres cas de figure envisageables, que lorsque le prestataire de service a un contrat de travail non pas avec la société gérant la plateforme numérique, mais avec le destinataire de la prestation, l'activité proposée par la société gérant la plateforme peut tomber sous le coup du placement au sens de l'art. 2 al. 1 LSE, également soumis à autorisation (cf. PÄRLI, Sharing Economy, op. cit., p. 118 à 120; HIRSIGER, op. cit., p. 304 à 306).
6.2 En l'occurrence, il résulte de l'arrêt entrepris que les restaurateurs ne choisissent pas le livreur et que celui-ci ne choisit pas sa mission; c'est l'application Uber Eats qui attribue un livreur à un restaurateur et à un client final. Il n'y a pas de relation directe entre le livreur et le restaurateur ou le client final. Par ailleurs, selon l'arrêt attaqué, Uber facture directement les prestations et fixeBGE 148 II 426 (432) BGE 148 II 426 (433)unilatéralement les prix. Les frais de livraison constituent la seule rémunération des livreurs, qui ne sont pas autorisés à accepter d'autres formes de paiement et ne reçoivent pas de paiement direct. Les frais de livraison sont crédités sur les comptes des livreurs par Uber une fois les frais de service déduits. Uber impose ainsi entièrement les conditions tarifaires (cf. arrêt 2C_500/2016 du 31 octobre 2016 consid. 3.4 citant aussi ce critère pour nier le caractère d'intermédiaire d'Uber en lien avec la plateforme pour le transport de passagers). Uber dépend pour sa part du nombre de livraisons effectuées pour réaliser son chiffre d'affaires en lien avec l'application Uber Eats, la distinguant des intermédiaires prélevant des montants mensuels fixes pour leur activité (cf., en assurances sociales à propos d'une centrale de taxis: arrêt 8C_38/2019 du 12 août 2020 consid. 6.1.2). Sur le vu de ces éléments, c'est à juste titre que la Cour de justice a considéré qu'Uber n'était pas un simple intermédiaire entre les acteurs. Se pose la question de savoir si les livreurs demeurent néanmoins indépendants ou s'ils sont dans une relation de travail.
Le contrat de travail se distingue avant tout des autres contrats de prestation de services, en particulier du mandat, par l'existence d'un lien de subordination (ATF 125 III 78 consid. 4; ATF 112 II 41 consid. 1a/aa et consid. 1a/bb in fine), qui place le travailleur dans la dépen­dance de l'employeur sous l'angle personnel, organisationnel et temporel ainsi que, dans une certaine mesure, économique (ATF 121 I 259 consid. 3a; arrêts 4A_53/2021 du 21 septembre 2021 con­sid. 5.1.3.1; 4A_64/2020 du 6 août 2020 consid. 6.2). La dépendance économique du travailleur est un aspect typique du contrat de tra­vail. Est déterminant le fait que, dans le contexte de la prestation que le travailleur doit exécuter, d'autres sources de revenus sont exclues et qu'il ne puisse pas, par ses décisions entrepreneuriales,BGE 148 II 426 (433) BGE 148 II 426 (434)influer sur son revenu (arrêt 4A_53/2021 du 21 septembre 2021 consid. 5.1.3.2).
Le travailleur est assujetti à la surveillance, aux ordres et instruc­tions de l'employeur; il est intégré dans l'organisation de travail d'autrui et y reçoit une place déterminée (arrêts 4A_53/2021 du 21 septembre 2021 consid. 5.1.3.1; 4A_64/2020 du 6 août 2020 consid. 6.3.1; 4A_10/2017 du 19 juillet 2017 consid. 3.1). Le contrat de travail est en principe conclu intuitu personae. Il est en effet étroitement lié aux qualités et prestations du travailleur, ce qui im­plique aussi, sauf accord contraire ou si les circonstances l'y auto­risent (art. 321 CO), que celui-ci exécute personnellement la presta­tion de travail (cf. GEISER/MÜLLER/PÄRLI, Arbeitsrecht in der Schweiz, 4e éd. 2019, p. 136 n. 303; AURÉLIEN WITZIG, Droit du travail, 2018, p. 392 s., n. 1189; JEAN-PHILIPPE DUNAND, in Commentaire du contrat de travail, 2013, nos 5 s. ad art. 321 CO).
En principe, des instructions qui ne se limitent pas à de simples directives générales sur la manière d'exécuter la tâche, mais qui influent sur l'objet et l'organisation du travail et instaurent un droit de contrôle de l'ayant droit, révèlent l'existence d'un contrat de tra­vail plutôt que d'un mandat (arrêts 4A_53/2021 du 21 septembre 2021 consid. 5.1.3.1; 4A_64/2020 du 6 août 2020 consid. 6.3.1 et les arrêts cités).
Les critères formels, tels l'intitulé du contrat, les déclarations des parties ou les déductions aux assurances sociales, ne sont pas dé­terminants. Il faut bien plutôt tenir compte de critères matériels relatifs à la manière dont la prestation de travail est effectivement exécutée, tels le degré de liberté dans l'organisation du travail et du temps, l'existence ou non d'une obligation de rendre compte de l'activité et/ou de suivre les instructions, ou encore l'identification de la partie qui supporte le risque économique (arrêts 4A_53/2021 du 21 septembre 2021 consid. 5.1.3.2; 2C_714/2010 du 14 décem­bre 2010 consid. 3.4.2).
Constituent des éléments typiques du contrat de travail le rembour­sement des frais encourus par le travailleur et le fait que l'employeur supporte le risque économique et que le travailleur abandonne à un tiers l'exploitation de sa prestation, en contrepartie d'un revenu assuré (arrêts 4A_53/2021 du 21 septembre 2021 consid. 5.1.3.2; 4A_64/ 2020 du 6 août 2020 consid. 6.3.5 et les arrêts cités).BGE 148 II 426 (434)BGE 148 II 426 (435) Seul l'examen de l'ensemble des circonstances du cas concret permet de déterminer si l'activité en cause est exercée de manière dépen­dante ou indépendante (ATF 130 III 213 consid. 2.1; ATF 129 III 664 consid. 3.2; ATF 128 III 129 consid. 1a/aa; arrêt 4A_53/2021 du 21 sep­tembre 2021 consid. 5.1.3.2).
6.4 Les sociétés proposant des prestations de travail par le biais de plateformes numériques ont pour trait commun de reposer sur des modèles plus flexibles de travail. Elles offrent une souplesse temporelle, spatiale et organisationnelle aux prestataires auxquels elles recourent (Conseil fédéral, rapport sur les conditions-cadre, p. 51 s.; Conseil fédéral, conséquences de la numérisation, p. 39 s.). Ceux-ci peuvent souvent s'inscrire sur la plateforme et la quitter sans grandes formalités, puis aménager la quantité et le moment de travail, voire le lieu (cf. ZEIN, op. cit., p. 712 s.). Pour leur part, les sociétés gérant ces plateformes ne disposent pas de locaux ni de matériel affectés à la production des prestations, ceux-ci étant fournis par les prestataires (idem). Un autre trait caractéristique est le transfert de l'évaluation du travailleur de la société gérant la plateforme au client (AURÉLIEN WITZIG, L'ubérisation du monde du travail, RDS 135/2016 I p. 457 ss, 462). Ces caractéristiques communes ne préjugent pas de la qualification des rapports juridiques. Les relations doivent être examinées pour chaque plateforme en fonction du modèle économique mis en place, lesdits modèles étant extrêmement variés, ainsi que des circonstances concrètes de la relation (cf. ZEIN, op. cit., p. 722; PÄRLI, NEUE FORMEN, OP. CIT., p. 251; HALPÉRIN/WACK, Location de services et plateformes digitales, application au modèle Uber Eats, Jusletter 6 avril 2020, para. 12; Conseil fédéral, conséquences de la numérisation, p. 57; cf. aussi JULIEN BILLARANT, Pour une approche nouvelle du rapport de subordination en droit privé suisse du travail, 2019, p. 373 ss). On relèvera néanmoins que des listes de critères en faveur de la qualification du contrat de travail ou d'une relation indépendante commencent à être établies dans la pratique sur la base de certaines clauses typiques des conditions générales que doivent accepter les prestataires (cf. par exemple: WYLER/ZANDIRAD, Plateformes numériques et contrat de travail, Jusletter 6 octobre 2020, para. 23 à 29; ZEIN, op. cit., p. 720; HALPÉRIN/WACK, op. cit., para. 59-60; Conseil fédéral, rapport sur les conditions-cadre, p. 78). De manière générale, des exercices de systématisation de l'activité des plateformes numériques de travail s'observent de plus en plus. A titre d'exemple, au niveau de l'UnionBGE 148 II 426 (435) BGE 148 II 426 (436)européenne, la Commission européenne a récemment proposé de retenir une présomption légale de relation de travail dès que deux des cinq critères établis sont remplis (Commission européenne, Pro­position de directive du Parlement européen et du Conseil relative à l'amélioration des conditions de travail dans le cadre du travail via une plateforme, 9 décembre 2021, COM[2021] 762 final, art. 4 [détermination du niveau de rémunération; règles impératives spéci­fiques en matière d'apparence, de conduite à l'égard du destinataire ou d'exécution du travail; supervision et vérification de la qualité des résultats du travail; limitation, notamment au moyen de sanctions, de la liberté d'organiser le travail; limitation de la possibilité de se constituer une clientèle ou d'exécuter un travail pour un tiers]).
Un livreur peut refuser une livraison, mais il est averti que des refus répétés créent une "expérience négative" pour les utilisateurs (ch. 2.5 CST).
Dès lors que les livreurs sont notés par les restaurateurs et les clients et qu'ils doivent maintenir une évaluation moyenne supérieure à la note fixée unilatéralement par Uber pour continuer à utiliser l'application, la mention de "l'expérience négative" constitue une forte incitation à accepter les demandes de livraison, qui relativise la prétendue complète liberté des livreurs alléguée par laBGE 148 II 426 (436) BGE 148 II 426 (437)recourante. De manière générale, comme il est accompagné de sanctions, soit un avertissement voire la désactivation du compte en cas de note jugée insuffisante, le système de notation n'est pas qu'un "outil horizontal" "d'optimisation d'une place de marché" comme le fait valoir la recourante, mais constitue un moyen de contrôle des livreurs, qui les place dans une relation de subordination à l'égard de la plateforme. Que les notes soient attribuées par les restaurateurs et les clients ne modifie pas ce constat.
Tant les restaurateurs que les clients peuvent ainsi suivre pendant la course le livreur. Ils peuvent donc sanctionner par une mauvaise appréciation un itinéraire jugé peu favorable ou une livraison trop lente, étant rappelé les conséquences d'une notation moyenne insuffisante (avertissement, voire désactivation du compte). Par ailleurs, Uber Eats se réserve la possibilité de réduire les frais de livraison en cas d'itinéraire jugé inefficace (ch. 4.3 CST), ce que seule la géolocalisation permet de déterminer. La géolocalisation ne sert donc pas seulement à attribuer les demandes de livraison le plus rapidement possible comme le prétend la recourante. Il s'agit au contraire d'un moyen de contrôle de l'activité des livreurs. La plateforme exerce, par ce biais, une surveillance caractéristique d'une relation de subordination (sur la légalité d'un système de géolocalisation, cf. arrêt 2C_116/2011 et autres du 29 août 2011 consid. 8; ATF 130 II 425 consid. 4.2) et conditionne la manière d'exécuter la prestation.
6.5.3 Comme cela a été exposé, il est recommandé aux livreurs de suivre les instructions des restaurateurs et d'attendre au moins 10 minutes chez ces derniers, respectivement chez les clients. Le contrat contient d'autres consignes à suivre et le chauffeur s'expose à des restrictions d'accès voire à la désactivation de son compte s'il ne se conforme pas aux conditions fixées (ch. 2.4 et ch. 3.1 CST; art. 105 al. 2 LTF). Comme le relève la recourante, de simples directives générales sur la manière d'exécuter une tâche ou la répétition d'obligations légales (comme le fait par exemple d'exiger un permis deBGE 148 II 426 (437) BGE 148 II 426 (438)conduire pour les livraisons avec un véhicule motorisé) ne sont pas significatives d'une relation de travail (cf. arrêts 4C.276/2006 du 25 janvier 2007 consid. 4.3.2; 4P.83/2003 du 9 mars 2004 consid. 3.2). Le caractère de simples informations générales de "bon sens" ou de rappels légaux de toutes les instructions données aux livreurs est toutefois démenti tant par la quantité de consignes que par les sanctions qui accompagnent tout manquement. Le fait que les frais de livraison puissent être réduits en cas d'itinéraire inefficace ou si le livreur a "failli à compléter correctement" une mission de livraison (ch. 4.3 CST; art. 105 al. 2 LTF) démontre également qu'Uber contrôle strictement la manière dont est exécutée la prestation.
Quant à la liberté des livreurs de travailler pour d'autres plateformes lorsqu'ils ne sont pas connectés à la plateforme Uber Eats, elle se comprend comme la liberté d'exercer plusieurs activités à temps partiel et n'est donc pas significative de l'indépendance des livreurs.
L'abandon de l'essentiel du pouvoir de direction à l'entreprise locataire constitue une caractéristique centrale de la location de services, ainsi qu'un critère important de démarcation d'avec d'autres relations contractuelles, notamment le mandat (ATF 148 II 203 consid. 3.3.2; arrêts 2C_132/2018 du 2 novembre 2018 consid. 4.3.3;BGE 148 II 426 (439) BGE 148 II 426 (440)2C_543/2014 du 26 novembre 2014 consid. 2.6; cf. aussi directives et commentaires relatifs à la loi sur le service de l'emploi et à la location de services et au tarif des émoluments de la loi sur le service de l'emploi du 15 janvier 2007 du Secrétariat d'Etat à l'économie, p. 61 ss [ci-après: directives SECO LSE]). A noter que le pouvoir de direction peut être réparti entre l'entreprise bailleresse et l'entreprise locataire (ATF 148 II 203 consid. 3.3.2; arrêt 2C_543/ 2014 du 26 novembre 2014 consid. 2.1).
La distinction entre le contrat de location de services et les contrats qui visent l'offre d'une prestation de nature différente à effectuer auprès d'un tiers doit s'effectuer dans chaque cas d'espèce, en s'appuyant sur le contenu du contrat, la description du poste et la situation de travail concrète dans l'entreprise locataire (ATF 148 II 203 consid. 3.3.3; arrêt 2C_132/2018 du 2 novembre 2018 consid. 4.1). Le nom que les parties donnent au contrat n'est en revanche pas déterminant (arrêts 2C_132/2018 du 2 novembre 2018 consid. 4.1; 2C_ 356/2012 du 11 février 2013 consid. 3.4; 2A.425/2006 du 30 avril 2007 consid. 3.2).
D'une part, la société gérant la plateforme peut recourir à des prestataires employés par des entreprises tierces, auquel cas il convient de se demander si elle-même est une locataire de services (PÄRLI, Sharing Economy, op. cit., p. 114 n. 190; HALPÉRIN/WACk, op. cit., p. 13 n. 73; ZEIN, op. cit., p. 719; cf. aussi l'avis rendu par le SECO à la demande du syndicat UNIA à propos des chauffeurs loués à Uber par des entreprises partenaires [cf. www.unia.ch/fr/actualites/ actualites/article/a/14710, consulté le 27 avril 2022]).
D'autre part, il se peut que la société gérant la plateforme soit elle-même une bailleresse au sens de la loi sur la location de services, lorsqu'elle est l'employeur direct des prestataires et que ceux-ci exécutent une prestation auprès d'une entreprise locataire (PÄRLI, Sharing Economy, op. cit., p. 114 n. 190; HALPÉRIN/WACK, op. cit., p. 13 et ss; HIRSIGER, op. cit., p. 306 avec des exemples). C'est ce second cas de figure qui est envisageable en l'espèce s'agissant de la relation entre Uber et les restaurateurs.
7.3 Selon l'arrêt attaqué, d'après le contrat-cadre directeur (contrat des restaurateurs), la plateforme Uber Eats est mise à dispositionBGE 148 II 426 (440) BGE 148 II 426 (441)des restaurateurs pour qu'ils y accèdent et "demandent des services de livraison sur demande fournis par des prestataires de service" (ch. 3 contrat-cadre). Les restaurateurs sont responsables, à travers les services fournis par les partenaires de livraison, de la livraison des plats et [ils en ont] de tout temps la possession, le contrôle et la responsabilité" (ch. 4 contrat-cadre directeur). En contrepartie de l'utilisation de la plateforme, Uber facture des "frais de service" correspondant à un pourcentage de chaque plat livré (ch. 3a addenda Marketplace) et des frais de livraison (ch. 3b addenda Marketplace). D'après le contrat-cadre, Uber transmet aux livreurs les "directives raisonnables" des restaurateurs concernant la livraison des plats (ch. 4 contrat-cadre). Selon leur propre contrat, les livreurs sont tenus de respecter le délai de livraison indiqué par le restaurateur, notamment les points de ramassage et de dépose des marchandises, ainsi que de suivre les instructions du restaurateur (ch. 2.2 CST).
7.5 La Cour de justice a estimé qu'il y avait cession du pouvoir de direction en faveur des restaurateurs du fait qu'Uber transmet aux livreurs "les directives raisonnables" des restaurateurs concernant la livraison de plats et que les livreurs sont tenus de respecter les instructions des restaurateurs d'après leur propre contrat. S'il s'agit simplement de demander le respect de méthodes de travail ou procédures propres à l'entreprise, l'obligation faite aux livreurs de respecter les consignes des restaurateurs ne caractérise pas une situation de location de services (arrêt 2A.425/2006 du 30 avril 2007 consid. 5.2.3). En l'espèce, il ne ressort pas de l'arrêt entrepris que les directives raisonnables des restaurateurs porteraient sur la mission de livraison en elle-même et la manière de l'exécuter. Le temps d'attente pour récupérer et remettre un plat au client (10 minutes à chaque fois) demeure par exemple du ressort de la plateforme.BGE 148 II 426 (441)BGE 148 II 426 (442) A teneur de l'arrêt entrepris, les restaurateurs peuvent indiquer le délai dans lequel la livraison doit être effectuée, ainsi que les points de ramassage et de dépose des marchandises. Il s'agit des seuls indices en faveur d'un pouvoir de direction des restaurateurs quant à la livraison elle-même, mais cet élément est aussi caractéristique du service de livraison demandé. Les restaurateurs peuvent certes, par le biais de la géolocalisation, savoir quel trajet le livreur emprunte (cf. supra consid. 6.5.2). Ils peuvent également noter le livreur (cf. supra consid. 6.5.1). La Cour de justice y a vu un indice en faveur d'un transfert du pouvoir de direction propre à une location de services. La notation constitue toutefois un système indirect de contrôle de Uber; par ce biais, le restaurateur peut se plaindre, a posteriori, de la manière dont une livraison a été effectuée. Il ne peut en revanche pas, au moment de la livraison, donner des consignes sur le trajet. Le seuil à partir duquel une notation peut valoir au livreur d'être désactivé de la plateforme demeure fixé par Uber. Ce sont en outre les résultats de différentes notes qui conduisent à une évaluation, pas la note d'un restaurateur déterminé. Enfin, le consommateur final note également la livraison, alors que l'on ne peut manifestement pas considérer qu'il posséderait un pouvoir de direction. C'est d'ailleurs une caractéristique des plateformes de déléguer la notation aux clients (cf. supra consid. 6.4; dans le cas de Uber Eats, à la fois le restaurateur et le consommateur final): on ne saurait y voir en l'espèce un transfert du pouvoir de direction en faveur des restaurateurs.
Sur le vu de ce qui précède, le critère du transfert du pouvoir de direction au sens de l'art. 26 al. 1 OSE n'apparaît pas rempli, même partiellement.