40. Extrait de l'arrêt de la IIe Cour de droit public dans la cause Diffulivre SA contre Commission de la concurrence COMCO (recours en matière de droit public)
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2C_39/2020 du 3 août 2022
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Regeste
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Art. 2 Abs. 1 und Art. 4 Abs. 1 KG; Begriff der Wettbewerbsabrede; Konzernprivileg; Zurechenbarkeit von Wettbewerbsabreden innerhalb eines Konzerns; einseitiges Verhalten eines Unternehmens.
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Sachverhalt
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 A. La société Diffulivre SA (ci-après: Diffulivre), dont le siège se situe dans le canton de Vaud, est une filiale de la société française Hachette Livre SA (ci-après: Hachette Livre), qui détient 100 % de son capital-actions. Son activité consiste dans la diffusion et la distribution de livres en français en Suisse. En tant que diffuseur, elle définit le plan commercial et promotionnel des livres concernés et les fait connaître aux divers points de vente. En tant que distributeur, elle organise les flux physiques, logistiques et financiers entre les éditeurs et les revendeurs de livres et assure notamment la gestion des ouvrages retournés par ceux-ci.
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Les fournisseurs de Diffulivre peuvent être classés en quatre catégories:
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- premièrement, les éditeurs qui, comme elle, font partie du groupe Hachette;
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- deuxièmement, les éditeurs qui ne font pas partie du groupe Hachette, mais qui ont conclu un contrat de diffusion-distribution avec celui-ci, par l'intermédiaire de la société Hachette Livre;
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 - les éditeurs qui ne font pas partie du groupe Hachette, mais qui sont néanmoins diffusés et/ou distribués en Suisse par Diffulivre, sans passer par le canal de Hachette Livre;
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- et, enfin, l'éditeur A., qui est apparenté à un autre éditeur contrôlé conjointement par Hachette Livre et un groupe canadien.
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Entre 2005 et 2011, la diffusion et la distribution des deux premiers types d'éditeurs précités (éditeurs appartenant au groupe Hachette ou ayant conclu un contrat de diffusion-distribution avec celui-ci) ont représenté presque 92 % du chiffre d'affaires annuel moyen de Diffulivre. Cette activité principale repose sur un contrat que l'intéressée a conclu en 1986 avec la société Hachette Livre, avant son acquisition par celle-ci. L'activité de diffusion et/ou de distribution fournie par Diffulivre au troisième type d'éditeurs (éditeurs ayant confié leurs diffusion et/ou distribution à Diffulivre sans passer par le canal Hachette Livre) se fonde pour sa part sur des contrats conclus directement par la société avec les éditeurs concernés. Enfin, la diffusion-distribution de l'éditeur A. en Suisse a fait l'objet d'un contrat tripartite entre l'éditeur précité, Diffulivre et la société Hachette Livre.
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Tous ces contrats contiennent une clause d'exclusivité territoriale en faveur de Diffulivre, dont la formulation peut néanmoins diverger d'un accord à l'autre.
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B. Du 12 juillet 2007 au 13 mars 2008, le secrétariat de la Commission de la concurrence (ci-après: la COMCO) a mené une enquête préalable sur le marché du livre écrit en français. Les informations obtenues auprès des diffuseurs-distributeurs et des revendeurs actifs en Suisse ont fait apparaître que les premiers occupaient une position forte sur le marché en cause et que le niveau des prix y était élevé.
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En date du 27 mai 2013, après déterminations des parties sur la proposition de décision ainsi que divers actes d'instruction et auditions, la COMCO a rendu une décision à l'encontre de la société Diffulivre et de neuf autres diffuseurs-distributeurs de livres. Elle a condamné en particulier la société précitée au paiement d'une sanction de 5'436'814 fr. en application de l'art. 49a al. 1 LCart (RS 251) en raison de sa participation à des accords illicites au sens de l'art. 5 al. 4 et 1 LCart (ch. 1.3 du dispositif). Elle lui a par ailleurs interdit - comme aux neuf autres diffuseurs-distributeurs concernés par sa décision - d'entraver par des contrats de distribution et/ou de diffusion les importations parallèles de livres écrits en français par tout détaillant  actif en Suisse (ch. 2 du dispositif). Enfin, elle l'a condamnée au paiement, à titre solidaire, des frais de procédure, lesquels se montaient à 760'150 fr. (ch. 4 du dispositif).
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Par arrêt du 30 octobre 2019, le Tribunal administratif fédéral a rejeté un recours interjeté par Diffulivre contre la décision précitée.
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C. Le 13 janvier 2020, Diffulivre (ci-après: la recourante) a déposé un recours en matière de droit public auprès du Tribunal fédéral contre l'arrêt du Tribunal administratif fédéral du 30 octobre 2019.
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Le Tribunal fédéral a admis partiellement le recours, annulé partiellement l'arrêt attaqué et renvoyé la cause au Tribunal administratif fédéral afin, notamment, qu'il revoie à la baisse le montant de la sanction infligée à la recourante.
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(résumé)
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Extrait des considérants:
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6.1 La recourante admet en l'occurrence dans ses écritures que les contrats de diffusion et/ou de distribution qu'elle a directement conclus avec certains éditeurs externes au groupe Hachette constituent bel et bien des accords en matière de concurrence au sens de l'art. 4 al. 1 LCart, y compris celui qu'elle a passé avec l'éditeur A. conjointement avec sa société mère. Elle soutient en revanche qu'il ne peut lui être reproché d'avoir participé à de tels accords en ce qui concerne la diffusion et la distribution des autres éditeurs - internes ou externes au groupe Hachette - avec lesquels elle n'a jamais entretenu aucune relation contractuelle directe durant la période sous enquête et qui avaient en réalité confié la diffusion et la distribution de leurs ouvrages en premier lieu à sa société mère, Hachette livre, avant que celle-ci ne lui sous-délègue l'exécution de ces deux tâches pour le territoire suisse. Elle affirme que le contrat-cadre qu'elle a conclu avec sa société mère en vue de la réalisation de ces deux tâches - qui  représentent, selon l'arrêt attaqué, plus de 90 % de son chiffre d'affaires annuel moyen entre 2005 et 2011 - ne peut pas être qualifié d'accord en matière de concurrence, car il lierait deux sociétés appartenant à un même groupe commercial et formant, de ce fait, une seule et même entreprise au sens de la LCart. La recourante ajoute enfin n'avoir jamais été mêlée aux accords que Hachette Livre passait en amont avec les éditeurs qu'elle devait distribuer pour le compte de son groupe, ni aux contrats de ventes que sa société mère pouvait parfois conclure avec certains grossistes français qui souhaitaient acquérir des ouvrages distribués par le groupe Hachette en vue de leur revente. Selon elle, le Tribunal administratif fédéral ne pouvait dès lors pas retenir qu'elle avait participé à des accords en matière de concurrence avec des entreprises externes à son groupe. Il ne pouvait pas lui imputer la responsabilité de tels contrats, d'autant moins qu'il n'en avait même pas établi le contenu exact, ni même requis la production durant la procédure.
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6.2.2 Pour déterminer si l'on a affaire à une convention au sens de l'art. 4 al. 1 LCart, il convient en principe d'appliquer en premier lieu les règles générales figurant aux art. 1 ss du Code des obligations (CO; RS 220) et d'établir la volonté réciproque et concordante des parties, étant précisé que celle-ci peut être expresse ou tacite (cf. ATF 147 II 72 consid. 3.3). Les manifestations de volonté tacites comprennent les actes concluants, c'est-à-dire ceux dont l'accomplissement laisse transparaître une certaine volonté des parties (ATF 147 II 72 consid. 3.3; ATF 144 II 246 consid. 6.4.1). Il faut cependant que l'on puisse discerner de tels actes une collaboration voulue et consciente de deux ou plusieurs entreprises, ce qui fait défaut en cas de restrictions à la concurrence purement unilatérales (cf. ATF 144 II 246 consid. 6.4.1; ATF 124 III 495 consid. 2a). Ainsi les recommandations contenues dans des accords verticaux, dans la mesure où elles consistent en des déclarations unilatérales non contraignantes, ne sont pas, sous réserve d'une pratique concertée, des accords au sens de l'art. 4 al. 1 LCart, puisqu'elles ne sont pas de nature à limiter l'autonomie décisionnelle des parties. En revanche, une déclaration unilatérale peut constituer une convention et, plus largement, un accord au sens de l'art. 4 al. 1 LCart si la volonté de l'auteur de la déclaration en question est reconnaissable pour l'autre partie et que cette dernière l'accepte expressément ou par acte concluant (ATF 144 II 246 consid. 6.4.1). Cela étant, il convient de garder à l'esprit que la notion de "convention" au sens de la LCart va au-delà de celle de "contrat" au sens du droit des obligations; elle couvre également les accords non contraignants sur le plan juridique, mais dont il ressort malgré tout une volonté de s'engager des parties, comme les gentlemen's agreements ou les Frühstückskartelle, ainsi que l'indique clairement l'art. 4 al. 1 LCart (ATF 147 II 72 consid. 3.3). A cet égard, les exigences liées à la preuve ne doivent pas être exagérées, du moins lorsque les faits, par leur nature, sont difficilement démontrables (cf. ATF 139 I 72 consid. 8.3.2). Les preuves directes de l'existence d'un accord en matière de concurrence sont très rares en pratique, de sorte que l'appréciation des faits doit régulièrement se faire sur la base d'indices (ATF 144 II 246 consid. 6.4.4).
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 6.2.3 Les notions de conventions et de pratiques concertées inscrites à l'art. 4 al. 1 LCart correspondent à celles d'"accords entre entreprises" ou de "pratiques concertées" consacrées par le droit européen de la concurrence (cf. art. 101 al. 1 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne [TFUE; JOUE C 326 du 26 octobre 2012, p. 47 ss]; aussi art. 81 al. 1 de l'ancien Traité de Rome du 25 mars 1957 instituant la Communauté européenne). Il y a donc lieu de les interpréter et de les appliquer en tenant compte de la jurisprudence et de la pratique européennes (ATF 147 II 72 consid. 3.1; cf. aussi consid. 4.4 non publié). En l'occurrence, celles-ci admettent aussi qu'un simple comportement convergent adopté par plusieurs entreprises peut représenter un accord relevant du droit de la concurrence, dès lors que les entreprises concernées ont exprimé de cette manière leur intention commune de se comporter d'une manière particulière sur le marché. Elles refusent en revanche de reconnaître l'existence d'un tel accord du seul fait qu'une entreprise ait exprimé son désir d'imposer une politique ou une stratégie commerciale déterminée sur le marché où elle est active, s'il n'est pas prouvé que cette politique ou stratégie a reçu l'acquiescement d'une ou de plusieurs autres entreprises partenaires (cf. en particulier arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes [ci-après: CJCE] C-2/01 P et C-3/01 P du 6 janvier 2004, Bayer AG, ch. 100 s.; Communications de la Commission européenne du 10 mai 2010, Lignes directrices sur les restrictions verticales, JOUE C 130/1 du 19 mai 2010 [ci-après: Lignes directrices UE], n° 24).
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6.2.4 Appliquant ces principes, la Cour de justice des Communautés européennes - dénommée aujourd'hui Cour de justice de l'Union européenne - a considéré, par exemple, que l'envoi systématique par un fournisseur à ses clients de factures comportant la mention "exportation interdite" constituait un accord interdit à l'aune du droit européen de la concurrence. Elle est partie de l'idée que les clients concernés, qui entretenaient des relations commerciales durables avec le fournisseur en question, acceptaient tacitement cette condition en renouvelant leurs commandes auprès de ce dernier (cf. arrêt de la CJCE C-277/87 du 11 janvier 1990, Sandoz prodotti farmaceutici, Rec. p. I-45, ch. 161 ss). En revanche, la Cour de justice a estimé, comme la Commission européenne, que le simple fait qu'un groupe commercial ait exprimé son intention d'empêcher les importations parallèles vers un Etat de l'Union européenne ne suffisait pas à lui seul à établir l'existence d'un accord interdit entre plusieurs  entreprises, au risque sinon de confondre la notion d'"accords entre entreprises" avec celle de "pratiques abusives" imputables à une entreprise dominante. D'après ces deux autorités européennes, pour qu'un accord vertical destiné à cloisonner un marché national puisse être réputé conclu au sens du droit de la concurrence, il est à tout le moins nécessaire que la volonté du fournisseur de mettre en place un système de distribution anticoncurrentiel se concrétise par une invitation - expresse ou implicite - aux partenaires de distribution de réaliser ensemble un tel but, tout particulièrement lorsqu'un potentiel accord sur ce point n'est de prime abord pas dans l'intérêt de ces derniers (cf. arrêt précité de la CJCE, Bayer, ch. 101 s.; aussi Lignes directrices UE, n° 24).
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6.2.5 La doctrine helvétique est généralement d'avis que l'approche de droit européen qui vient d'être présentée doit également prévaloir en droit suisse (cf. JÜRG BORER, Wettbewerbsrecht, Kommentar, vol. I, 3e éd. 2011, n° 8 ad art. 4 LCart; ROGER ZÄCH, Schweizerisches Kartellrecht, 2005, n. 371 ss; AMSTUTZ/REINERT, Vertikale Preis- und Gebietsabreden - eine kritische Analyse von Art. 5 Abs. 4 KG, in Kartellgesetzrevision 2003, Stoffel/Zäch [éd.], 2004, p. 85 ss, spéc. 98; DANIEL KRAUS, Précision de la notion d'entente au sens de l'article 81 du traité CE: Remarques concernant l'arrêt Adalat rendu par la Cour de Justice des Communautés européennes, sic! 2008 p. 515 ss).
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6.2.6 Tels qu'ils viennent d'être décrits, des accords en matière de concurrence au sens de l'art. 4 al. 1 LCart peuvent exister non seulement entre entreprises de même rang (accords horizontaux), mais aussi entre entreprises de différents échelons du marché (accords verticaux; ATF 144 II 246 consid. 6.4.1; ATF 129 II 18 consid. 4). En revanche, les conventions passées entre des sociétés appartenant à un même groupe et sur lesquelles une société mère exerce un contrôle effectif ne sont pas soumises à la LCart, dès lors que toutes ces entités, en l'absence d'indépendance, constituent une seule et même entreprise et bénéficient de ce que l'on appelle un "privilège de groupe" (ATF 145 III 303 consid. 7.2.2; cf. aussi arrêt 2C_484/2010 du 29 juin 2012 consid. 3, non publié in ATF 139 I 72). Cela signifie notamment que, lorsqu'elles sont passées entre deux sociétés appartenant au même groupe et ne se comportant pas de manière indépendante l'une de l'autre, les ententes verticales sur les prix ou sur une protection territoriale ne constituent pas des accords en matière de concurrence au sens de l'art. 4 al. 1 LCart, ni, a fortiori, des  accords illicites au sens de l'art. 5 al. 1 LCart. Ce n'est qu'indirectement - par effet réflexe - qu'elles peuvent éventuellement tomber sous le coup de ces dispositions, s'il n'existe aucun doute quant au fait que les clauses anticoncurrentielles qu'elles contiennent sont destinées à être reprises dans les accords que le groupe est appelé à conclure avec des entreprises tierces, accords ne bénéficiant, eux, d'aucun privilège de groupe (cf. Note explicative de la Commission de la concurrence du 12 juin 2017 relative à la CommVert [état le 9 avril 2018; ci-après: Note explicative CommVert], ch. 9, 2 e point, renvoyant à la décision de la COMCO du 21 octobre 2013, Kosmetikprodukte, DPC 2014/1, p. 190 et 197, n. 61 ss et 130 ss; aussi MANI REINERT, in Basler Kommentar, Kartellgesetz, 2 e éd. 2021, n os 358 ss ad art. 4 al. 1 LCart). Il en va exactement de même en droit européen (cf. notamment arrêt de la CJCE C-73/95 du 24 octobre 1996, Viho Europe BV, RJ 1996 I-05457, ch. 16 ss; décision de la Commission européenne 70/332 du 30 juin 1970, Kodak, JO n° L 147, p. 24-27). Il en résulte que la pratique de certains groupes commerciaux consistant à refuser d'approvisionner les clients et entreprises suisses aux prix et aux conditions commerciales en vigueur à l'étranger et à les renvoyer vers les sociétés de distribution correspondantes en Suisse (souvent des sociétés du groupe) - pour qu'ils achètent aux conditions et au prix (plus élevés) pratiqués dans ce pays - ne relève pas nécessairement d'un accord en matière de concurrence au sens de l'art. 4 al. 1 LCart, prohibé par l'art. 5 al. 1 et 4 LCart et pouvant faire l'objet d'une sanction à ce titre au sens de l'art. 49a LCart, ce en raison du privilège de groupe (cf. arrêt 2C_43/2020 du 21 décembre 2021 consid. 7.3, non publié in ATF 148 II 25; Note explicative CommVert, ch. 9, 2 e point; STÄUBLE/SCHRANER, in KG, Bundesgesetz über Kartelle und andere Wettbewerbsbeschränkungen, Kommentar, 2018, n° 275 ad art. 7 LCart).
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6.2.7 Cela ne veut toutefois pas dire que la loi ne proscrit pas une telle manière de faire. L'art. 7 LCart prévoit en particulier, depuis le 1er janvier 2022, que les entreprises jouissant d'un pouvoir de marché relatif en Suisse ont l'interdiction d'empêcher les acheteurs suisses de se procurer à l'étranger des biens ou des services aux prix du marché et aux conditions usuelles de la branche (RO 2021 576). La nouvelle disposition doit faciliter la lutte contre les discriminations de prix en permettant aux autorités de la concurrence, ainsi qu'aux entreprises acheteuses, d'engager plus facilement des  procédures contre certains grands groupes commerciaux, qui peuvent cloisonner le marché suisse en échappant aux règles de l'art. 5 LCart en raison du privilège de groupe (Message du 29 mai 2019 relatif à l'initiative populaire "Stop à l'îlot de cherté - pour des prix équitables [initiative pour des prix équitables]" et au contre-projet indirect, FF 2019 4665, 4690 et 4727). Avant cette révision, on admettait déjà que le refus d'une entreprise étrangère de livrer un client suisse aux prix et conditions prévalant à l'étranger pouvait constituer un comportement entrepreneurial abusif et, partant, inadmissible au sens de l'art. 7 al. 1 et 2 LCart: il fallait cependant démontrer que l'entreprise en question disposait d'une position dominante sur le marché considéré, ce qui n'était pas forcément aisé (STÄUBLE/SCHRANER, op. cit., n os 276 s. ad art. 7 LCart). On remarquera d'ailleurs que la procédure ouverte par la COMCO contre la recourante en mars 2008 avait à l'origine précisément pour but de démontrer que cette dernière détenait une telle position sur le marché suisse de la distribution du livre en français et qu'elle en abusait. Ce n'est qu'en mars 2011, que la COMCO a étendu son analyse à la présence potentielle d'accords illicites supprimant la concurrence sur ce marché au sens des art. 4 et 5 al. 1 et 4 LCart, avant de la concentrer sur ce point exclusivement au stade de sa proposition de décision (cf. supra let. B.), abandonnant ainsi l'idée d'un examen de la cause sous l'angle de l'art. 7 LCart, ce que le Tribunal administratif fédéral n'a pas envisagé non plus dans l'arrêt attaqué. Il n'appartient pas au Tribunal fédéral de revenir d'office sur ce choix, que les parties ne remettent du reste pas en question et qui n'appartient pas à l'objet du litige, lequel consiste uniquement à déterminer si la recourante a participé à des accords en matière de concurrence non seulement illicites, mais également sanctionnables en application des art. 4, 5 et 49a LCart (cf. dans le même sens arrêt 2C_43/2020 du 21 décembre 2021 consid. 7.4, non publié in ATF 148 II 25).
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6.3 En l'occurrence, le Tribunal administratif fédéral a établi que la recourante était détenue à 100 % par la société française Hachette Livre et qu'elle appartenait de ce fait au groupe éponyme Hachette, lequel est actif non seulement dans le domaine de l'édition de livres, mais également dans celui de leurs diffusion et distribution aux revendeurs. Il ressort ainsi de l'arrêt attaqué que le groupe précité diffuse et distribue généralement lui-même la production de ses éditeurs auprès des librairies et autres revendeurs de livres, tout en acceptant cependant aussi de livrer certains grossistes externes au  groupe. Il a enfin été constaté que le groupe consentait également à mettre son réseau de diffusion-distribution à disposition d'autres entreprises et, partant, à diffuser et distribuer certains éditeurs indépendants. La diffusion et la distribution de l'ensemble de ces livres - qui peuvent donc être édités ou non par le groupe Hachette - sont en principe assurées par la société Hachette Livre. Ces deux tâches sont néanmoins déléguées à la recourante en tant qu'elles se rapportent au territoire suisse, conformément à une convention que cette dernière a signée avec sa société mère. Cette convention, par laquelle Hachette Livre s'est obligée à "ne pas vendre" elle-même les ouvrages diffusés par le groupe en Suisse, ainsi qu'à "ne pas laisser vendre" ces mêmes produits sur ce territoire par d'autres sociétés que la recourante, accorde à celle-ci un droit exclusif de diffusion et de distribution dans le pays.
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6.4 Il n'est pas contesté qu'apprécié pour lui-même, l'ultime arrangement mentionné ci-devant, passé entre la recourante et sa société mère, ne peut pas être qualifié d'accord en matière de concurrence au sens de l'art. 4 al. 1 LCart, quand bien même la clause d'exclusivité qu'il contient constitue une restriction à la concurrence, car, ainsi qu'on l'a vu, la LCart ne s'applique généralement pas aux conventions passées entre sociétés d'un même groupe commercial, ce en raison du "privilège de groupe" (cf. supra consid. 6.2.6 et suivant). Il n'en demeure pas moins que l'on peut se demander si la recourante n'a pas, malgré tout, participé à des accords en matière de concurrence en considération des contrats de diffusion-distribution, respectivement des contrats de ventes que sa société mère a conclus tant en amont qu'en aval avec certains éditeurs ou grossistes externes au groupe Hachette. Il est vrai que ces contrats, passés avec des entreprises indépendantes du groupe Hachette, sont assurément susceptibles de tomber dans le champ d'application de la LCart dans la mesure où il serait établi qu'ils instituent également des restrictions à la concurrence sur le marché suisse de la distribution du livre. Par ailleurs, comme le Tribunal fédéral l'a déjà relevé dans plusieurs arrêts récents relatifs à ce marché, les contrats de diffusion-distribution qu'un groupe d'édition, de diffusion et de distribution de livres peut conclure avec des éditeurs indépendants n'échappe pas au droit suisse de la concurrence du simple fait que leur exécution sur le territoire national ait été déléguée à une filiale suisse par le biais d'un contrat bénéficiant d'une convention bénéficiant du "privilège de groupe". Quant à cette filiale, elle ne peut logiquement pas se  dédouaner d'un comportement anticoncurrentiel qui a certes été convenu entre sa société mère et des entreprises tierces, mais qui lui est néanmoins profitable et sert ses intérêts, en alléguant simplement qu'elle n'en est pas formellement responsable; la faculté d'imputer, à certaines conditions, le comportement d'une société mère à sa filiale et vice versa ne constitue finalement rien d'autre qu'un corollaire du privilège de groupe (cf. ATF 148 II 321 consid. 8; aussi arrêt 2C_43/2020 du 21 décembre 2021 consid. 7.5, non publié in ATF 148 II 25).
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6.5.1 S'agissant des liens contractuels que le groupe Hachette a entretenus avec des éditeurs indépendants durant la période sous enquête, l'arrêt attaqué se contente simplement d'en constater l'existence. Il établit seulement que certaines entreprises éditrices de livres en français ont chargé la société Hachette Livre de diffuser et de distribuer leurs ouvrages, a priori dans le monde entier. Une lecture de l'arrêt attaqué ne permet pas de savoir, par exemple, si ces tâches de diffusion et de distribution ont été confiées à titre exclusif au groupe Hachette, ni si les éditeurs concernés se sont engagés à renoncer à toute vente directe et indirecte de leurs produits à destination du marché suisse. Il n'est pas possible de déterminer non plus si la recourante a été impliquée d'une quelconque manière dans l'élaboration de tels accords. Relevons que la Cour de céans ne peut pas combler cet établissement lacunaire des faits en consultant le dossier (cf. art. 105 al. 2 LTF; aussi consid. 2.2 non publié), puisque les contrats que le groupe Hachette a passés avec les éditeurs indépendants qu'il a accepté de diffuser et distribuer n'y figurent pas, comme le Tribunal administratif fédéral le souligne lui-même. Faute de constatations de fait suffisantes dans l'arrêt attaqué,  il est ainsi impossible de retenir que les contrats de diffusion-distribution conclus en amont de la chaîne de distribution par Hachette Livre avec certains éditeurs indépendants ont visé ou entraîné une quelconque restriction à la concurrence sur le marché du livre en français durant la période sous enquête, ni, a fortiori, de déterminer si, en se voyant chargée de leur exécution sur le territoire suisse par Hachette Livre, la recourante a participé indirectement à des accords en matière de concurrence au sens de l'art. 4 al. 1 LCart. La Cour de céans est parvenue à une conclusion similaire dans un arrêt récent concernant un autre diffuseur-distributeur de livres ayant aussi fait l'objet d'une sanction prononcée par la COMCO et confirmée dans son principe par le Tribunal administratif fédéral (cf. arrêt 2C_43/ 2020 du 21 décembre 2021 consid. 7.6, non publié in ATF 148 II 25).
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6.5.3 Dans l'arrêt attaqué, le Tribunal administratif fédéral semble estimer qu'il peut être reproché à la recourante d'avoir participé à des accords en matière de concurrence en considération du fait que sa  société mère s'était engagée auprès d'elle à "ne pas laisser" d'autres entreprises qu'elle vendre sur le marché suisse les ouvrages édités et/ou diffusés par le groupe Hachette, ce qui aurait forcément impliqué d'empêcher les partenaires de distribution actifs à l'étranger et indépendants du groupe - y compris les grossistes français avec lesquels celui-ci traitait - de (re)vendre à destination de la Suisse les produits qui leur étaient livrés. L'autorité précédente voit dans cet engagement interne au groupe Hachette une sorte de "preuve par indices" que la recourante aurait participé, par le truchement de sa société mère, à des accords en matière de concurrence visant à cloisonner le marché suisse. Elle a ce faisant perdu de vue que la participation d'une entreprise - éventuellement constituée en groupe commercial - à des accords en matière de concurrence illicites au sens de la LCart ne peut pas être inférée du simple fait que ladite entreprise ait exprimé sa volonté - toute générale - de mettre en place une politique d'empêchement des importations parallèles en relation avec les biens qu'elle produit ou distribue, sans préciser d'aucune manière les moyens qu'elle entend mettre en oeuvre à cette fin (cf. supra consid. 6.2.2 et suivants; cf. aussi REINERT, op. cit., n° 359 ad art. 4 al. 1 LCart); dans le cas concret, pour pouvoir reconnaître l'existence de tels accords sous l'angle du droit suisse, qu'il convient d'interpréter en regard du droit européen, le Tribunal administratif fédéral aurait dû constater, en se fondant le cas échéant sur d'autres indices, que le groupe Hachette avait au moins invité les grossistes à accepter une restriction à la concurrence consistant en une interdiction d'exportation vers la Suisse, ce qu'il n'a toutefois pas fait. En retenant, sans procéder à un tel constat, que la recourante et son groupe avaient participé à des accords en matière de concurrence au sens des art. 2 al. 1 et 4 al. 1 LCart, il a violé le droit fédéral.
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6.5.4 Enfin, contrairement à ce que laisse entendre la COMCO dans sa réponse au recours, il importe en l'espèce peu que la recourante n'ait produit volontairement aucun contrat passé par son groupe avec certains grossistes indépendants. Il n'est pas possible de déduire d'un tel fait sa participation à des accords visant à cloisonner le marché suisse. Rien ne l'obligeait en effet à fournir spontanément aux autorités précédentes - à tout le moins sans que celles-ci ne l'y aient enjoint d'aucune sorte - tous les renseignements utiles et les pièces nécessaires à l'aboutissement d'une procédure qu'elle n'avait pas initiée elle-même et qui pouvait par ailleurs conduire au prononcé d'une sanction financière importante à son encontre (cf. art. 13 PA en lien  avec l'art. 40 LCart; aussi WYSSLING/BICKEL, in KG, Bundesgesetz über Kartelle und andere Wettbewerbsbeschränkungen, Kommentar, 2018, nos 6 s. ad art. 40 LCart; BENOÎT MERKT, in Commentaire romand, Droit de la concurrence, 2e éd. 2013, n° 11 ad art. 40 LCart). On ne peut dès lors lui imputer aucun refus de collaborer susceptible d'être pris en compte à son détriment et apte à relativiser l'obligation des autorités précédentes d'établir elles-mêmes les faits pertinents au moment d'apprécier si les éléments du dossier sont propres à démontrer l'existence de clauses restrictives de concurrence dans les contrats passés par le groupe Hachette avec certains grossistes français indépendants (cf., à titre de comparaison, ATF 130 II 449 consid. 6.6.1).
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6.7 En guise de conclusion intermédiaire, il convient donc de retenir qu'en l'état de l'arrêt attaqué et du dossier, il ne peut être reproché à la recourante d'avoir été partie à des accords en matière de  concurrence en lien avec la diffusion-distribution d'éditeurs de livres en français sur mandat de sa société mère et, de manière générale, du groupe Hachette. Il n'en demeure pas moins qu'elle a assurément participé à de tels accords durant cette période en concluant elle-même certains contrats avec des éditeurs s'étant directement adressés à elle en vue de leur diffusion et/ou de leur distribution sur le territoire suisse. Ces accords, qui contiennent tous une clause d'exclusivité, constituent bel et bien des accords en matière de concurrence au sens de l'art. 4 al. 1 LCart, y compris celui qu'elle a passé de manière tripartite avec sa société mère et l'éditeur A., ce que ne conteste pas l'intéressée. Reste à savoir s'ils constituent des accords illicites visés par l'art. 5 al. 4 LCart et, partant, sanctionnables au sens de l'art. 49a LCart, comme le soutiennent les autorités précédentes, mais le conteste la recourante.
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