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Informationen zum Dokument  BGer 1P.51/2000  Materielle Begründung
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BGer 1P.51/2000 vom 05.07.2000
 
[AZA 0]
 
1P.51/2000
 
Ie COUR DE DROIT PUBLIC
 
**********************************************
 
5 juillet 2000
 
Composition de la Cour: MM. les juges Aemisegger, président,
 
Nay et Jacot-Guillarmod. Greffier: M. Thélin.
 
___________
 
Statuant sur le recours de droit public
 
formé par
 
A.________ , représenté par Me Michel Ducrot, avocat à Martigny,
 
contre
 
la décision prise le 23 décembre 1999 par le Président du Tribunal cantonal du canton du Valais, dans la cause quioppose le recourant au Juge d'instruction pénale du Valais central Jean-Luc Addor;
 
(récusation)
 
Vu les pièces du dossier d'où ressortent
 
les faits suivants:
 
A.- Depuis octobre 1997, avec d'autres coïnculpés, A.________ est prévenu dans une enquête ouverte par le Juge d'instruction pénale du Valais central Jean-Luc Addor. Ayant participé à des promotions immobilières, il est notamment soupçonné d'obtention frauduleuse de constatations fausses et d'infractions fiscales, consistant dans la vente d'immeubles à des prix supérieurs à ceux indiqués dans les actes notariés. Il est également prévenu, par ailleurs, d'escroquerie par métier, gestion déloyale et banqueroute frauduleuse en rapport avec la faillite de la société B.________, dont il était administrateur.
 
B.- Le Juge d'instruction a entrepris de rechercher et d'interroger les acheteurs des appartements pour lesquels une malversation avait été éventuellement commise. Il a adressé à chacun d'eux une lettre les invitant à prendre contact avec la police judiciaire, afin de convenir d'un rendez-vous pour leur audition. Dans quelques cas, cette lettre fut envoyée par la poste à l'étranger, sans recours à la voie de l'entraide judiciaire internationale. Les interrogatoires par la police étaient suivis - en principe le jour même - d'une audition par le Juge d'instruction personnellement, si ce magistrat le jugeait utile.
 
A plusieurs reprises, le juge a ainsi procédé à des auditions sans avoir préalablement averti le prévenu ni son avocat; il a également, dans les mêmes conditions, interrogé un coïnculpé dans l'affaire B.________. Par ailleurs, plusieurs personnes ont aussi été interrogées sans qu'on leur eût préalablement indiqué si elles étaient entendues à titre de prévenu, de témoin ou "à titre de renseignements".
 
Par une décision formelle prise le 27 avril 1999, le Juge d'instruction a interdit au prévenu et à son défenseur l'accès à certaines parties du dossier, soit aux lettres adressées aux acheteurs d'appartements et aux documents concernant les coïnculpés C.________ et D.________. Auparavant, sans décision préalable, le juge avait donné un ordre téléphonique à la police pour qu'il fût interdit au défenseur, lors de la consultation de la comptabilité de B.________, d'établir des copies ou de prendre des notes.
 
Le 21 mai 1999, la Chambre pénale du Tribunal cantonal a admis une plainte formée par A.________, dirigée notamment contre la décision précitée du 27 avril 1999; elle a ordonné au Juge d'instruction de communiquer au prévenu les documents concernant C.________ et D.________, et de le convoquer aux audiences. Par la suite, le juge a quelques fois averti l'avocat par téléfax ou téléphone d'audiences prévues pour le jour même, le lendemain ou le surlendemain. Il a effectivement procédé à une audition alors que l'avocat n'était pas disponible. Il a aussi prévu une audition - qui n'a finalement pas eu lieu - dans une période où l'avocat avait annoncé qu'il serait absent. Il a par ailleurs procédé à des auditions en présence du seul avocat, sans faire amener le prévenu alors en détention préventive, ce qui a donné lieu à l'admission d'une nouvelle plainte par la Chambre pénale, le 19 novembre 1999.
 
Le 24 juin 1999, le Juge d'instruction a émis un mandat d'amener contre E.________, désormais également prévenu dans l'enquête, et a décidé que les autres inculpés et leurs défenseurs ne seraient pas autorisés à prendre part aux actes d'instruction le concernant. Le mandat d'amener a été exécuté le même jour et E.________, interrogé par le juge en l'absence de A.________ et de son avocat, a été placé en détention préventive. A.________ a élevé une nouvelle plainte pour critiquer la décision de l'exclure de l'interrogatoire, plainte que la Chambre pénale a déclarée sans objet au motif que l'acte d'enquête concerné était déjà exécuté. A l'appui de son prononcé concernant les frais, la Chambre pénale a néanmoins jugé qu'à première vue, la mesure litigieuse n'était pas fondée.
 
Le 12 juillet 1999, le juge a décidé de répondre favorablement à une demande du service cantonal des contributions tendant à la consultation du dossier de l'enquête pénale; il n'a pas, préalablement, invité les prévenus à prendre position sur cette requête. A.________ a là encore adressé une plainte à la Chambre pénale, pour violation du droit d'être entendu. Cette plainte, à laquelle l'effet suspensif avait été conféré, a été admise le 2 décembre 1999, la décision du Juge d'instruction étant annulée.
 
Entre-temps, le 11 octobre 1999, A.________ a présenté au Juge d'instruction une requête tendant à faire écarter du dossier les procès-verbaux d'audition des personnes avec lesquelles ce magistrat avait pris contact au moyen d'un envoi postal adressé à l'étranger, au motif que cette procédure était contraire au droit international. L'examen de cette requête est actuellement suspendu. Le même jour, A.________ a remis au Tribunal cantonal une dénonciation disciplinaire dirigée contre le juge Addor, en raison des actes de procédure prétendument effectués sans droit à l'étranger.
 
C.- A.________ a introduit une demande de récusation le 8 octobre 1999. Il soutenait que le juge Addor avait adopté un comportement permanent et planifié destiné à empêcher l'exercice des droits de la défense, notamment en déléguant systématiquement les auditions à la police judiciaire, en convoquant le défenseur dans des délais inutilement brefs, en envoyant sans droit, directement, des citations à l'étranger et en commettant de nombreuses autres irrégularités, dont certaines avaient été, sur plainte, redressées par la Chambre pénale. La récusation se justifiait, en outre, par le fait que le prévenu entreprenait une procédure disciplinaire contre le juge et demandait de constater la nullité des preuves recueillies en violation du droit international.
 
Le requérant a reçu copie des déterminations du Juge d'instruction, transmises au Président du Tribunal cantonal avec le dossier et accompagnées d'une liste des classeurs et documents qui le composent. Il a alors fait valoir, par lettre du 13 octobre 1999, qu'il n'avait pas eu connaissance de cette liste auparavant et n'avait jamais pu consulter le dossier complet; il demandait un délai à cette fin. Ne recevant aucune réponse, il a insisté par lettres des 22 octobre et 15 décembre 1999, en précisant qu'il souhaiterait éventuellement, après examen du dossier complet, présenter de nouveaux arguments à l'appui de la demande de récusation.
 
Statuant le 23 décembre 1999, le Président du Tribunal cantonal a rejeté cette demande. Il a considéré que la manière de procéder du Juge d'instruction était, pour l'essentiel, bien établie et conforme à la loi, notamment en ce qui concerne la délégation des auditions à la police judiciaire.
 
La convocation de l'avocat à très bref délai se justifiait par l'organisation particulière de l'enquête, où les personnes à interroger s'annonçaient spontanément à la police, le Juge d'instruction profitant de leur présence pour les entendre personnellement. Certaines des critiques élevées contre le juge Addor se rapportaient à des procédés qui n'étaient aucunement spécifiques à l'enquête en cause et ne dénotaient donc aucune partialité du magistrat; en particulier, les autres prévenus n'étaient pas traités de façon différente. Les irrégularités effectivement commises, éventuellement corrigées par la Chambre pénale, n'étaient pas suffisamment graves pour mettre en doute l'impartialité du juge. Quant à l'accès au dossier, le requérant pourrait l'obtenir dès que les pièces auraient été retournées au Juge d'instruction pour la suite de l'enquête.
 
D.- Agissant par la voie du recours de droit public, A.________ requiert le Tribunal fédéral d'annuler la décision du 23 décembre 1999. Il se plaint de violation du droit d'être entendu, en ce qui concerne l'accès au dossier, et de violation de la garantie d'un juge indépendant et impartial, en ce qui concerne le rejet de la demande de récusation.
 
Invités à répondre, le Président du Tribunal cantonal et le Juge d'instruction Addor proposent le rejet du recours.
 
Considérant en droit :
 
1.- a) La garantie d'un tribunal indépendant et impartial instituée par l'art. 6 par. 1 CEDH, à l'instar de la protection conférée par l'art. 30 al. 1 Cst. , permet au plaideur de s'opposer à une application arbitraire des règles cantonales sur l'organisation et la composition des tribunaux, qui comprennent les prescriptions relatives à la récusation des juges. Elle permet aussi, indépendamment du droit cantonal, d'exiger la récusation d'un juge dont la situation ou le comportement est de nature à faire naître un doute sur son impartialité; elle tend notamment à éviter que des circonstances extérieures à la cause ne puissent influencer le jugement en faveur ou au détriment d'une partie.
 
Elle n'impose pas la récusation seulement lorsqu'une prévention effective du juge est établie, car une disposition interne de sa part ne peut guère être prouvée; il suffit que les circonstances donnent l'apparence de la prévention et fassent redouter une activité partiale du magistrat. Seules des circonstances constatées objectivement doivent être prises en considération; les impressions purement individuelles d'une des parties au procès ne sont pas décisives (ATF 116 Ia 135 consid. 2; voir aussi ATF 125 I 119 consid. 3ap. 122, 124 I 255 consid. 4a p. 261, 120 Ia 184 consid. 2b).
 
Les art. 6 par. 1 CEDH et 30 al. 1 Cst. ne s'appliquent pas à la récusation d'un juge d'instruction ou d'un représentant du ministère public, car ces magistrats, pour l'essentiel confinés à des tâches d'instruction ou à un rôle d'accusateur public, n'exercent pas de fonction de juge au sens étroit (ATF 124 I 76, 119 Ia 13 consid. 3a p. 16, 118 Ia 95 consid. 3b p. 98). L'art. 29 al. 1 Cst. assure toutefois, en dehors du champ d'application des règles précitées, une garantie de même portée (jurisprudence relative à l'art. 4 aCst. : ATF 125 I 119 consid. 3b p. 123 et les arrêts cités), à ceci près que cette disposition, à la différence desdites règles, n'impose pas l'indépendance et l'impartialité comme maxime d'organisation des autorités auxquelles elle s'applique (ibidem, consid. 3f p. 124).
 
b) Selon la jurisprudence, le droit à un juge impartial n'est pas violé lorsqu'un recours est admis et que la cause est renvoyée au juge qui a pris la décision invalide; d'ordinaire, on peut attendre de ce juge qu'il continue de traiter l'affaire de manière impartiale et objective, en se conformant aux motifs de l'arrêt rendu sur recours, et il n'est pas suspect de prévention du seul fait qu'il a erré dans l'application du droit (ATF 113 Ia 407 consid. 2b p. 410; voir aussi ATF 117 Ia 157 consid. 2b in fine p. 162, 114 Ia 50 consid. 3d p. 58). Seules des erreurs particulièrement lourdes ou répétées, constituant des violations graves de ses devoirs, peuvent justifier le soupçon de parti pris. La fonction judiciaire oblige le magistrat à se déterminer sur des éléments souvent contestés et délicats; c'est pourquoi, même si elles se révèlent viciées, des mesures inhérentes à l'exercice normal de sa charge ne permettent pas d'exiger sa récusation (ATF 116 Ia 135 consid. 3a p. 138; voir aussi ATF 125 I 119 consid. 3e p. 124).
 
2.- Il convient d'examiner, sur la base de ces principes, les critiques que le recourant adresse au Juge d'instruction Addor.
 
a) Selon le recourant, le magistrat intimé a violé les règles de l'instruction contradictoire en procédant à des auditions sans aucune convocation du prévenu ni de son conseil, ou sans faire amener le prévenu alors en détention. A plusieurs reprises, par des décisions formelles fondées sur l'art. 53 ch. 4 CPP val. , le juge a restreint le droit d'accès au dossier et a aussi, dans le cas de l'interrogatoire de E.________, suspendu l'instruction contradictoire. Or, la plupart de ces mesures ont été jugées disproportionnées par la Chambre pénale. Le juge a encore restreint l'accès à certaines pièces, soit la comptabilité de B.________, sans respecter la procédure de l'art. 53 ch. 4 CPP val. On ne saurait non plus exclure - mais cela n'est pas établi - que certaines parties du dossier, quand il n'en existait aucun bordereau, n'aient simplement pas été remises à l'avocat.
 
Il s'agit d'erreurs nombreuses et réitérées, qui dénotent une tendance du juge à conduire l'enquête sans tenir dûment compte des garanties que l'ordre constitutionnel ou légal confère à la personne poursuivie. Elles compromettent l'exercice de droits procéduraux essentiels du prévenu, tels le droit d'interroger ou de faire interroger les témoins à charge (art. 6 par. 3 let. d CEDH), qui font partie des "facilités nécessaires à la préparation de [la] défense" garanties par l'art. 6 par. 3 let. b CEDH, dans la mesure où les opérations de l'instruction préparatoire conditionnent aussi la suite du procès (rapport de la Commission européenne des droits de l'homme dans la cause Can c. Autriche, du 12 juillet 1984, ch. 47 à 49, publié in série A n° 96, p. 14). Le Juge d'instruction a en outre commis une irrégularité supplémentaire en autorisant d'emblée, sans interpellation préalable des prévenus, le service cantonal des contributions à prendre connaissance du dossier. En raison de leur caractère répété, ces erreurs créent objectivement l'apparence de la partialité.
 
A cela s'ajoute que l'avocat n'était pas averti dès que possible du moment où le juge procéderait à une audition; celles-ci lui étaient au contraire annoncées d'une façon qui ne lui permettait pas d'organiser son temps conformément aux nécessités de sa profession. Le dossier révèle que l'audition du témoin F.________, le 26 mai 1999, annoncée le jour même à l'avocat, avait pourtant été fixée le 10 précédant déjà. Sans être contredit, le recourant affirme que le juge a téléphoné à l'étude d'un des autres défenseurs le 2 juin 1999, pour fixer une date d'audition, mais ne s'est pas préoccupé des disponibilités de son propre avocat. Cette attitude du Juge d'instruction peut objectivement être perçue comme déloyale à l'égard du prévenu ou son avocat; elle suscite à tout le moins le soupçon d'un parti pris.
 
Enfin, les personnes convoquées n'étaient fréquemment pas informées de la qualité en laquelle elles étaient entendues.
 
Bien que cette information ne soit pas expressément exigée par la loi quand la convocation n'intervient pas sous la forme d'un mandat de comparution (cf. art. 16 ch. 3 let. d CPP val.), son omission peut placer la personne concernée dans une situation équivoque. Au regard du droit international, l'envoi à l'étranger - dans quelques cas - de l'invitation à prendre contact avec la police judiciaire prête aussi à discussion. Dans le contexte particulier d'une enquête entachée de nombreuses violations des droits de la défense, ces procédés douteux corroborent l'impression que le Juge d'instruction, apparemment convaincu de la culpabilité du prévenu, était déterminé à la mettre en évidence par tous moyens, nonobstant le risque de violer le droit; or, il s'agit d'une attitude essentiellement partiale. La récusation de ce magistrat s'imposait donc au regard de l'art. 29 al. 1 Cst. , de sorte que le recours de droit public doit être admis pour violation de cette disposition.
 
b) Le Tribunal fédéral ne doit pas négliger le fait que la récusation du Juge d'instruction Addor, à ce stade de la procédure, pourrait entraîner un retard dans la suite des opérations, et porter ainsi atteinte à une autre exigence des art. 29 al. 1 Cst. et 6 par. 1 CEDH: le droit de toute personne que sa cause soit traitée et jugée dans un délai raisonnable. Cet inconvénient apparaît toutefois moindre que celui résultant de la suspicion de partialité du Juge d'instruction, qui risquerait, si elle n'était pas sanctionnée, de jeter une ombre sur l'équité du procès; or, cette exigence-ci est, dans le contexte spécifique de l'affaire, prioritaire.
 
3.- Du 8 au 11 octobre 1999, le recourant a introduit, outre la demande de récusation, deux autres instances dirigées contre le juge Addor, tendant respectivement à une sanction disciplinaire et à la suppression de certains procès-verbaux.
 
Contrairement à son opinion, ces démarches-ci n'ont aucune incidence sur le bien-fondé de la récusation.
 
Dans ces conditions, le recourant se plaint à tort d'une violation de son droit d'être entendu.
 
4.- Le recourant qui obtient gain de cause a droit à des dépens, à la charge du canton du Valais.
 
Par ces motifs,
 
le Tribunal fédéral :
 
1. Admet le recours et annule la décision attaquée.
 
2. Dit qu'il n'est pas perçu d'émolument judiciaire.
 
3. Dit que le canton du Valais versera une indemnité de 1'500 fr. au recourant à titre de dépens.
 
4. Communique le présent arrêt en copie au mandataire du recourant, au Juge d'instruction pénale Jean-Luc Addor et au Ministère public du Valais central, ainsi qu'au Président du Tribunal cantonal du canton du Valais.
 
__________
 
Lausanne, le 5 juillet 2000 THE/mnv
 
Au nom de la Ie Cour de droit public
 
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
 
Le Président,
 
Le Greffier,
 
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