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Informationen zum Dokument  BGer 4C.428/2004  Materielle Begründung
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BGer 4C.428/2004 vom 01.04.2005
 
Tribunale federale
 
{T 0/2}
 
4C.428/2004 /ech
 
Arrêt du 1er avril 2005
 
Ire Cour civile
 
Composition
 
MM. et Mme les Juges Corboz, Président, Klett et Favre.
 
Greffière: Mme Godat Zimmermann.
 
Parties
 
A.________,
 
défenderesse et recourante, représentée par Me Mauro Poggia,
 
contre
 
B.________ et C.________,
 
demandeurs et intimés, représentés par Me Maud
 
Volper.
 
Objet
 
contestation du loyer initial; formule officielle,
 
recours en réforme contre l'arrêt de la Chambre d'appel en matière de baux et loyers du canton de Genève du
 
4 octobre 2004.
 
Faits:
 
A.
 
Le 1er mars 1999, A.________ a remis à bail à B.________ et C.________ un appartement à Bellevue/GE, moyennant un loyer annuel de 66 000 fr. sans les charges. Selon le contrat, le logement loué comprend sept pièces. Au début du bail, A.________ n'a pas fait usage de la formule officielle prévue par les art. 270 al. 2 CO et 24 de la loi genevoise d'application du code civil et du code des obligations (LACC/GE).
 
B.
 
Par requête du 23 janvier 2001, les locataires ont contesté le loyer initial et requis sa fixation à 45 600 fr. par an, charges non comprises; ils ont également demandé que la bailleresse soit condamnée à leur restituer le trop-perçu. Faute de conciliation, la cause a été introduite devant le Tribunal des baux et loyers du canton de Genève, qui a notamment procédé à un transport sur place.
 
La bailleresse s'est prévalue de l'exception visée à l'art. 253b al. 2 CO; elle considérait l'objet loué comme un appartement de luxe auquel les dispositions sur la protection contre les loyers abusifs ne s'appliquaient pas.
 
Par jugement séparé du 28 octobre 2002, le Tribunal a rejeté l'exception soulevée par la défenderesse. Il a estimé que le logement loué comportait en réalité six pièces, cuisine comprise, de sorte qu'il n'entrait pas dans la catégorie des appartements de luxe visés à l'art. 253b al. 2 CO. La bailleresse n'a pas interjeté appel de cette décision.
 
Les demandeurs ont ensuite sollicité un calcul de rendement. Le Tribunal a imparti à la défenderesse un délai pour répondre et produire toutes les pièces utiles. En déposant ses écritures, la bailleresse n'a remis aucune pièce supplémentaire au Tribunal.
 
Par jugement du 12 janvier 2004, le Tribunal a fixé le loyer annuel à 54 000 fr., charges non comprises, et condamné la défenderesse à rembourser aux locataires le trop-perçu.
 
Statuant le 4 octobre 2004 sur appel de la bailleresse et appel incident des locataires, la Chambre d'appel en matière de baux et loyers du canton de Genève a rejeté les deux recours. A l'instar du Tribunal des baux et loyers, elle a jugé que l'absence de notification du loyer sur formule officielle entraînait la nullité partielle du bail, limitée à la fixation du loyer. Il appartenait ensuite au juge de déterminer le loyer initial en considérant notamment les loyers non abusifs pratiqués dans le quartier. Comme la bailleresse n'avait pas déposé les pièces permettant de déterminer le niveau des loyers usuels, la cour cantonale a estimé que le large pouvoir d'appréciation du juge dans ce domaine l'autorisait à recourir aux statistiques cantonales et à opérer quelques réajustements pour tenir compte des particularités du logement considéré. Elle a ainsi confirmé le jugement de première instance.
 
C.
 
A.________ interjette un recours en réforme. Elle conclut, principalement, à l'annulation de l'arrêt cantonal et au déboutement des locataires de toutes leurs conclusions. A titre subsidiaire, elle demande l'annulation de la décision attaquée et le renvoi de la cause à l'autorité cantonale pour complément d'instruction.
 
B.________ et C.________ proposent le rejet du recours et la confirmation de l'arrêt attaqué.
 
Le Tribunal fédéral considère en droit:
 
1.
 
1.1 Interjeté par la défenderesse, qui n'a pas obtenu le déboutement des demandeurs de leurs conclusions en contestation du loyer initial, et dirigé contre une décision finale rendue en dernière instance cantonale par un tribunal supérieur (art. 48 al. 1 OJ) sur une contestation civile dont la valeur litigieuse, estimée sur la base de l'art. 36 al. 4 OJ, dépasse manifestement le seuil de 8000 fr. (art. 46 OJ), le recours en réforme est en principe recevable, puisqu'il a été déposé en temps utile (art. 54 al. 1 OJ) et dans les formes requises (art. 55 OJ).
 
1.2 Saisi d'un tel recours, le Tribunal fédéral conduit son raisonnement juridique sur la base des faits contenus dans la décision attaquée, à moins que des dispositions fédérales en matière de preuve n'aient été violées, qu'il faille rectifier des constatations reposant sur une inadvertance manifeste (art. 63 al. 2 OJ) ou compléter les constatations de l'autorité cantonale parce que celle-ci n'a pas tenu compte de faits pertinents, régulièrement allégués et clairement établis (art. 64 OJ; ATF 130 III 102 consid. 2.2. p. 106, 136 consid. 1.4. p. 140; 127 III 248 consid. 2c).
 
Dans la mesure où la partie recourante présente un état de fait qui s'écarte de celui contenu dans la décision attaquée, sans se prévaloir avec précision de l'une des exceptions qui viennent d'être rappelées, il n'est pas possible d'en tenir compte (ATF 127 III 248 consid. 2c). Il ne peut être présenté de griefs contre les constatations de fait, ni de faits ou de moyens de preuve nouveaux (art. 55 al. 1 let. c OJ). Le recours en réforme n'est donc pas ouvert pour remettre en cause l'appréciation des preuves et les constatations de fait qui en découlent (ATF 130 III 136 consid. 1.4 p. 140; 128 III 271 consid. 2b/aa p. 277; 127 III 247 consid. 2c p. 252).
 
1.3 Au surplus, la juridiction de réforme ne peut aller au-delà des conclusions des parties; en revanche, elle n'est liée ni par les motifs développés par les parties (art. 63 al. 1 OJ; ATF 128 III 411 consid. 3.2.2 p. 415), ni par l'argumentation juridique suivie par la cour cantonale (art. 63 al. 3 OJ; ATF 130 III 136 consid. 1.4 p. 140; 128 III 22 consid. 2e/cc; 127 III 248 consid. 2c; 126 III 59 consid. 2a).
 
2.
 
La défenderesse reproche notamment à la cour cantonale d'avoir violé l'art. 8 CC. Comme ce grief concerne le droit à la preuve, il convient de le traiter en priorité.
 
Selon la bailleresse, la Chambre d'appel ne lui a pas permis de faire toute la lumière sur les circonstances dans lesquelles le bail a été signé, ni sur les éléments qui rendent obligatoire l'usage de la formule officielle. Plus précisément, la défenderesse n'aurait pas été autorisée à rapporter la preuve que les demandeurs ne se trouvaient aucunement dans une situation de contrainte lors de la conclusion du bail; par ailleurs, elle aurait offert en vain de prouver que l'appartement loué comportait huit pièces, plus des combles.
 
2.1 L'art. 8 CC répartit le fardeau de la preuve pour toutes les prétentions fondées sur le droit fédéral et détermine, sur cette base, laquelle des parties doit assumer les conséquences de l'échec de la preuve (ATF 130 III 321 consid. 3.1 p. 323; 127 III 519 consid. 2a p. 522; 126 III 189 consid. 2b, 315 consid. 4a). On en déduit également un droit à la preuve et à la contre-preuve (ATF 129 III 18 consid. 2.6 et les arrêts cités). En particulier, le juge enfreint l'art. 8 CC s'il tient pour exactes les allégations non prouvées d'une partie, nonobstant leur contestation par la partie adverse, ou s'il refuse toute administration de preuve sur des faits pertinents en droit (ATF 130 III 591 consid. 5.4 p. 601/602 et l'arrêt cité). Pour que l'art. 8 CC soit violé par le refus d'administrer une preuve, il faut que la partie ait offert régulièrement, dans les formes et les délais prévus par la loi de procédure applicable, d'établir un fait pertinent qui n'est pas déjà prouvé, par une mesure probatoire adéquate (ATF 129 III 18 consid. 2.6 p. 24/25 et les arrêts cités).
 
En revanche, l'art. 8 CC ne prescrit pas quelles sont les mesures probatoires qui doivent être ordonnées (ATF 127 III 519 consid. 2a), ni ne dicte au juge comment forger sa conviction (ATF 128 III 22 consid. 2d p. 25; 127 III 248 consid. 3a, 519 consid. 2a). Il n'exclut ni l'appréciation anticipée des preuves, ni la preuve par indices (ATF 129 III 18 consid. 2.6 p. 25; 127 III 520 consid. 2a; 126 III 315 consid. 4a). Au demeurant, lorsque l'appréciation des preuves convainc le juge qu'un fait est établi à satisfaction de droit ou réfuté, la question de la répartition du fardeau de la preuve ne se pose plus et le grief tiré de de la violation de l'art. 8 CC devient sans objet. Il s'agit alors d'une question d'appréciation des preuves, qui ne peut être soumise au Tribunal fédéral que par la voie du recours de droit public pour arbitraire (ATF 127 III 519 consid. 2a; 122 III 219 consid. 3c).
 
2.2 Comme on le verra ci-après (consid. 3.1), la fixation du loyer annuel à 66 000 fr. dans le contrat du 1er mars 1999 est nulle dès lors qu'elle n'a pas été notifiée sur formule officielle; dans ce cas-là, l'art. 270 al. 1 CO relatif à la contestation du loyer initial ne s'applique pas et il n'y a pas à examiner si le locataire se trouvait ou non dans une situation de contrainte au sens de cette disposition lorsqu'il a conclu le bail. C'est dire qu'en l'espèce, ni les moyens financiers dont les futurs locataires disposaient, ni leur état d'esprit au moment de la conclusion du contrat n'étaient des éléments juridiquement pertinents pour trancher le litige. Dans ces conditions, aucune violation de l'art. 8 CC ne saurait être imputée à la cour cantonale.
 
2.3 Sur la question du nombre de pièces du logement loué, la cour cantonale a relevé que la défenderesse n'était pas recevable à remettre en cause le jugement incident du 28 octobre 2002 contre lequel elle n'avait pas interjeté appel. Au demeurant, la Chambre d'appel a rappelé qu'elle était liée par les faits constatés en première instance, sous réserve d'une appréciation des faits manifestement insoutenable ou en contradiction formelle avec les preuves recueillies, et qu'elle statuait avec un pouvoir d'examen restreint lui interdisant de prendre en considération des allégués ou des moyens de preuve nouveaux (cf. Bertossa/Gaillard/Guyet/Schmidt, Commentaire de la loi de procédure civile genevoise, n. 6 ad art. 292 et les références). Faute d'éléments démontrant que le premier juge aurait procédé à une appréciation arbitraire des faits pertinents, la cour cantonale a retenu que l'objet loué comprenait bien six pièces, cuisine comprise. La Chambre d'appel a ainsi été convaincue que l'appartement litigieux comportait six pièces, dont la cuisine. En conséquence, la question de la violation de l'art. 8 CC est dépassée et se révèle sans objet. En réalité, sous le couvert de l'art. 8 CC, la défenderesse cherche à remettre en cause l'appréciation des preuves, ce qui n'est pas admissible dans un recours en réforme. Le grief est par conséquent irrecevable.
 
3.
 
La défenderesse reproche également à la Chambre d'appel d'avoir violé l'art. 270 al. 1 CO, qui lui imposait d'examiner si les demandeurs se trouvaient dans une situation de contrainte lors de la conclusion du bail. Au surplus, la bailleresse est d'avis que la cour cantonale aurait dû admettre un abus de droit de la part des locataires, qui ont payé le loyer convenu pendant vingt-deux mois, avant de le remettre en question à l'occasion de la contestation d'une majoration de loyer à laquelle la bailleresse a finalement renoncé.
 
3.1 En l'espèce, il est constant que la défenderesse n'a pas fait usage de la formule officielle lors de la conclusion du bail. Selon la jurisprudence, la non-utilisation de la formule officielle prescrite aux art. 270 al. 2 CO et 24 LACC/GE entraîne la nullité partielle du contrat de bail, sous l'angle de la fixation du montant du loyer (ATF 124 III 62 consid. 2a p. 64; 120 II 341 consid. 5d p. 349). Cette nullité partielle étant acquise, il appartenait aux juges précédents de déterminer le loyer initial en se fondant sur toutes les circonstances du cas (ATF 124 III 62 consid. 2b p. 64; 121 II 341 consid. 6c p. 351), pour autant que l'invocation du vice de forme ne constituât pas un abus de droit. Contrairement à ce que la défenderesse prétend, il n'y avait pas place pour l'application de l'art. 270 al. 1 CO, concernant les conditions auxquelles un locataire peut contester le loyer initial. En effet, la nullité partielle pour vice de forme, qui se constate d'office, est originaire et intervient de plein droit (cf. Engel, Traité des obligations en droit suisse, 2e éd., p. 262), de sorte que les locataires n'avaient pas à remplir des conditions pour pouvoir l'invoquer. L'hypothèse avancée par la bailleresse, selon laquelle les locataires informés par avis officiel n'auraient vraisemblablement pas contesté le loyer annuel de 66 000 fr. dès lors que l'appartement était mis en location pour la première fois et qu'ils disposaient d'un revenu oscillant entre 270 000 fr. et 400 000 fr. par année, ne revêt ainsi aucune pertinence. Le grief tiré d'une violation de l'art. 270 al. 1 CO est manifestement mal fondé.
 
3.2 Par ailleurs, le fait de payer sans discuter pendant une vingtaine de mois un loyer surévalué par rapport aux critères contenus aux art. 269ss CO et de s'inquiéter de cette situation à l'occasion d'un avis d'augmentation ne saurait, à lui seul, faire admettre que les locataires commettent un abus de droit en invoquant la nullité de la fixation du loyer initial. En outre, selon l'état de fait cantonal, aucun élément du dossier ne permet de retenir que les demandeurs aient eu conscience d'emblée du vice de forme et qu'ils se soient abstenus intentionnellement de le faire valoir immédiatement afin d'en tirer avantage par la suite. Dans ces conditions, la Chambre d'appel a refusé à juste titre d'accueillir le moyen tiré de l'abus de droit.
 
3.3 Pour le surplus, la défenderesse ne s'attache d'aucune manière à démontrer que les juges précédents, au bénéfice du large pouvoir d'appréciation que la jurisprudence leur reconnaît (cf. ATF 124 III 62 consid. 2b p. 64; 120 II 341 consid. 6c p. 350/351), auraient commis une violation du droit fédéral en arrêtant à 54 000 fr. par an le loyer dû par les demandeurs.
 
Sur le vu de ce qui précède, le recours ne peut être que rejeté dans la mesure où il est recevable.
 
4.
 
Vu le sort réservé au recours, la défenderesse prendra à sa charge les frais judiciaires (art. 156 al. 1 OJ) et versera des dépens aux demandeurs (art. 159 al. 1 OJ).
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
 
1.
 
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable.
 
2.
 
Un émolument judiciaire de 2000 fr. est mis à la charge de la défenderesse.
 
3.
 
La défenderesse versera aux demandeurs, créanciers solidaires, une indemnité de 2500 fr. à titre de dépens.
 
4.
 
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties et à la Chambre d'appel en matière de baux et loyers du canton de Genève.
 
Lausanne, le 1er avril 2005
 
Au nom de la Ire Cour civile
 
du Tribunal fédéral suisse
 
Le Président: La Greffière:
 
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