Abruf und Rang:
RTF-Version (SeitenLinien), Druckversion (Seiten)
Rang: 

Zitiert durch:


Zitiert selbst:


Bearbeitung, zuletzt am 04.08.2022, durch: DFR-Server (automatisch)
 
BGer 1B_573/2021 vom 18.01.2022
 
Tribunal fédéral
 
Tribunale federale
 
Tribunal federal
 
[img]
 
 
1B_573/2021
 
 
Arrêt du 18 janvier 2022
 
 
Ire Cour de droit public
 
Composition
 
Mme et MM. les Juges fédéraux Jametti, Juge présidante, Chaix et Müller.
 
Greffière : Mme Nasel.
 
 
Participants à la procédure
 
A.________ SA,
 
représentée par Me Jaroslaw Grabowski, avocat,
 
recourante,
 
contre
 
B.________,
 
représentée par Me Marcel Eggler, avocat,
 
C.________,
 
représenté par Me Loïc Parein, avocat,
 
intimés,
 
Ministère public de l'arrondissement de Lausanne, p.a. Ministère public central du canton de Vaud, avenue de Longemalle 1, 1020 Renens VD.
 
Objet
 
Procédure pénale; séquestre,
 
recours contre l'arrêt de la Chambre des recours pénale du Tribunal cantonal du canton de Vaud, du 30 août 2021 (786 - PE13.017627-MMR).
 
 
Faits :
 
A.
Par contrats de location des 2 et 3 février 2021, la société B.________, représentée par D.________ et E.________, a mis à disposition de C.________, qui agissait au nom de sa société F.________ Sàrl, une Lamborghini Huracan LP 610 et une Mercedes G 63 AMG, dont elle était propriétaire jusqu'au 5, respectivement 7 février 2021. Le loyer pour la Lamborghini était de 4'800 fr. et celui de la Mercedes de 5'500 fr. Ces deux loyers ont été payés.
Par contrats des 12 et 14 février 2021, la location a été prolongée jusqu'au 26 février 2021 pour la Lamborghini et au 28 février 2021 pour la Mercedes, les loyers étant respectivement de 6'000 fr. et de 6'400 fr. Ces loyers n'ont jamais été réglés par C.________ et les voitures n'ont pas été restituées malgré plusieurs demandes.
C.________ a vendu à la société A.________ SA, les 10 février et 3 mars 2021, la Lamborghini pour le prix de 110'000 fr. et la Mercedes pour le prix de 50'000 fr., alors qu'il n'en était pas le propriétaire. A.________ SA a transféré les sommes de 8'677 fr. le 19 janvier 2021 et de 78'623 fr. le 21 janvier 2021, soit un total de 87'300 fr., sur le compte de F.________ Sàrl.
Du fait de l'absence de restitution des véhicules précités, B.________ a déposé plainte contre C.________ le 30 mars 2021.
B.
Par ordonnance du 29 avril 2021, le Ministère public de la République et canton de Genève a ordonné la mise sous séquestre desdits véhicules et a dit que le séquestre serait effectué en mains de A.________ SA, ensuite du refus des représentants de cette dernière de restituer les véhicules malgré plusieurs demandes dans ce sens.
Par arrêt du 30 juin 2021, la Chambre pénale de recours de la République et canton de Genève a déclaré irrecevable le recours de A.________ SA contre l'ordonnance précitée, au motif que les Ministères publics des cantons de Genève et Vaud avaient fixé le for au sens de l'art. 39 al. 2 CPP dans le canton de Vaud le 17 mai 2021.
Par ordonnance du 3 août 2021, le Ministère public de l'arrondissement de Lausanne a ordonné la levée du séquestre sur les véhicules, a imparti à A.________ SA un délai de 20 jours à compter de la date où la présente décision sera définitive et exécutoire pour intenter une action civile et ordonné la restitution des véhicules à B.________ à l'échéance de ce délai, à moins qu'une requête de mesures provisionnelles, qu'une requête de séquestre civil ou qu'une convention désignant l'ayant droit ne soit déposée.
Par arrêt du 30 août 2021, la Chambre des recours pénale du canton de Vaud a rejeté le recours déposé par A.________ SA contre l'ordonnance du 3 août 2021.
C.
Par acte du 20 octobre 2021, A.________ SA a déposé un recours en matière pénale par lequel il demande au Tribunal fédéral d'annuler l'arrêt attaqué, d'ordonner la levée du séquestre des véhicules de marque Lamborghini Huracan LP 610 et Mercedes G 63 AMG, d'attribuer à A.________ SA lesdits véhicules et d'impartir à B.________ un délai de 20 jours à compter de la date de la notification de l'arrêt du Tribunal fédéral pour intenter une action civile.
Invités à se déterminer sur le recours, le Tribunal cantonal se réfère à ses considérants tandis que le Ministère public et C.________ y renoncent. Quant à B.________, elle conclut à l'irrecevabilité, subsidiairement au rejet du recours. Après un deuxième échange d'écritures, les parties maintiennent leurs positions respectives.
Par ordonnance du 3 novembre 2021, le Président de la I re Cour de droit public du Tribunal fédéral a rejeté la requête d'effet suspensif présentée par A.________ SA.
 
1.
L'arrêt attaqué, rendu en dernière instance cantonale (art. 80 al. 1 LTF), ordonne la levée du séquestre et la restitution à l'intimée B.________ des véhicules séquestrés. Il s'agit d'une décision en matière pénale, susceptible d'un recours au sens de l'art. 78 al. 1 LTF.
1.1. La jurisprudence considère qu'en général, une décision portant sur le maintien ou la levée d'un séquestre est une décision incidente (ATF 140 IV 57 consid. 2.2). Le recours n'est dès lors recevable qu'aux conditions de l'art. 93 al. 1 LTF. En l'occurrence toutefois, la recourante, qui n'est pas prévenue, a le statut de tiers saisi au sens de l'art. 105 al. 1 let. f CPP. L'ordonnance de restitution met dès lors fin à la procédure pénale en ce qui la concerne et revêt par conséquent un caractère final. Il n'y a dès lors pas lieu de s'interroger sur le respect des conditions posées à l'art. 93 al. 1 LTF (arrêt 1B_485/2020 du 29 janvier 2021 consid. 1.1).
1.2. La recourante a pris part à la procédure cantonale (art. 81 al. 1 let. a LTF). Elle dispose d'un intérêt à la modification de la décision attaquée (art. 81 al. 1 let. b LTF) qui statue en sa défaveur.
1.3. Pour le surplus, le recours est formé en temps utile (art. 100 al. 1 LTF) et les conclusions présentées sont recevables au regard de l'art. 107 LTF.
2.
La recourante se plaint d'une appréciation arbitraire des faits. Elle reproche à l'autorité précédente d'avoir retenu qu'elle n'aurait pas payé le montant de 160'000 fr. pour l'achat des véhicules.
2.1. Il n'y a arbitraire dans l'établissement des faits ou l'appréciation des preuves que si le juge n'a manifestement pas compris le sens et la portée d'un moyen de preuve, s'il a omis, sans raison sérieuse, de tenir compte d'un moyen important propre à modifier la décision attaquée ou encore si, sur la base des éléments recueillis, il a fait des déductions insoutenables (ATF 144 II 281 consid. 3.6.2; 140 III 264 consid. 2.3; arrêt 1B_356/2021 du 21 septembre 2021 consid. 2.1). Il appartient à la partie recourante de démontrer le caractère arbitraire par une argumentation répondant aux exigences de l'art. 106 al. 2 LTF. Le Tribunal fédéral n'entre pas en matière sur des critiques de type appellatoire (ATF 146 IV 114 consid. 2.1).
2.2. En l'occurrence, la cour cantonale a constaté que la recourante avait uniquement produit des relevés bancaires attestant qu'elle avait versé à la société du prévenu les sommes de 8'677fr. le 19 janvier 2021 et de 78'623 fr. le 21 janvier 2021, soit un total de 87'300 fr. S'agissant du solde, l'autorité inférieure a considéré que, bien que la recourante soutenait l'avoir payé en liquide, elle n'avait pas été en mesure de produire des quittances qui le démontreraient, ce qui, au vu des montants en cause, n'était absolument pas crédible; selon elle, le fait que le prévenu l'ait confirmé n'y changeait rien. Elle a ainsi estimé qu'il apparaissait plus vraisemblable que la recourante ait acquis ces véhicules pour un montant équivalent au tiers de celui qu'avait investi B.________ pour leur acquisition.
2.3. La recourante prétend le contraire. Selon elle, l'absence de quittances ne serait pas significative puisque le prévenu aurait confirmé avoir reçu l'intégralité du montant dû pour les deux véhicules par virements et en espèces. Elle aurait de plus prouvé disposer des fonds nécessaires. Il n'existerait ainsi aucune preuve matérielle permettant de retenir qu'elle n'aurait pas payé l'intégralité du montant dû. Ce faisant, la recourante se contente cependant de substituer son appréciation des faits à celle de l'instance inférieure, et ce, sur un mode purement appellatoire. Quoiqu'il en soit, son argumentation ne démontre pas qu'il était insoutenable de considérer que, faute d'une quelconque quittance, le prix de vente convenu correspondait aux seules sommes effectivement versées sur le compte de l'entreprise du prévenu et que les déclarations de ce dernier à ce sujet n'y changeaient rien. Par ailleurs, quand bien même la cour cantonale aurait omis de tenir compte de la preuve de la disposition des fonds, cette dernière n'est pas à même de prouver leur utilisation contrairement à ce que soutient la recourante: sa prétendue omission ne permet ainsi pas de qualifier d'arbitraires les considérations de l'instance inférieure.
La recourante soutient encore que la comparaison avec les prix que B.________ aurait payé serait arbitraire, puisqu'il n'existerait aucune preuve matérielle permettant de comprendre comment B.________ aurait payé cette somme: selon elle, cette société et ses animateurs n'auraient pas les fonds pour régler de tels montants, de sorte que leur achat serait invraisemblable. Encore une fois, la recourante se contente de substituer son appréciation des faits à celle de l'instance inférieure de manière appellatoire. En outre, cette argumentation fait fi des pièces produites par la société précitée dont l'instance précédente a expressément tenu compte, soit notamment les contrats conclus pour acquérir les deux véhicules et la preuve du paiement des prix de vente convenus et de l'origine des fonds.
Au vu de ce qui précède, le grief d'appréciation arbitraire des faits doit être rejeté, dans la mesure de sa recevabilité.
3.
La recourante se plaint d'une violation de l'art. 267 al. 5 CPP.
3.1. Aux termes de l'art. 267 CPP, si le motif du séquestre disparaît, le ministère public ou le tribunal lève la mesure et restitue les objets et valeurs patrimoniales à l'ayant droit (al. 1). Si plusieurs personnes réclament des objets ou des valeurs patrimoniales à libérer, le tribunal peut statuer sur leur attribution (al. 4). L'autorité pénale peut attribuer les objets ou les valeurs patrimoniales à une personne et fixer aux autres réclamants un délai pour intenter une action civile (al. 5).
La possibilité de statuer sur l'attribution des objets ou des valeurs patrimoniales à libérer, conférée au tribunal par l'art. 267 al. 4 CPP, n'entre en considération que lorsque la situation juridique est claire. Si tel n'est pas le cas, le tribunal doit procéder selon l'art. 257 al. 5 CPP, soit attribuer les objets ou des valeurs patrimoniales concernées à une personne et impartir aux autres personnes ayant émis des prétentions à cet égard un délai pour agir devant le juge civil (arrêts 1B_485/2020 du 29 janvier 2021 consid. 2.3; 6B_247/2018 du 11 juin 2018 consid. 4.1 et les références citées; 1B_288/2017 du 26 octobre 2017 consid. 3). Concernant la décision à prendre sur l'attribution d'un objet, l'autorité pénale doit s'inspirer des règles du droit civil. L'attribution au possesseur doit être envisagée en premier lieu, celui-ci étant présumé propriétaire de l'objet en vertu de l'art. 930 CC. En présence d'indications claires sur l'inexistence de ce droit réel, l'attribution doit être ordonnée en faveur de la personne qui apparaît la mieux légitimée (ATF 120 Ia 120 consid. 1b; arrêt 6B_54/2019 du 3 mai 2019 consid. 5.1). L'autorité procède à un examen prima facie, sur la base de l'examen du dossier. Elle répartit ainsi de façon provisoire le rôle des parties dans la procédure civile à venir, sans préjudice de la décision éventuelle sur le plan civil (Saverio Lembo/Marianna Nerushay, in Commentaire Romand CPP, 2ème éd. 2019, n° 18 ad art. 267; arrêt 1B_298/2014 du 21 novembre 2014 consid. 3.2).
3.2. En l'occurrence, la cour cantonale a constaté que B.________ avait acquis la Lamborghini pour un prix de 179'900 fr. et la Mercedes pour un prix de 85'500 fr., soit 265'400 fr., alors que la recourante avait déboursé un montant total de 87'300 fr. pour l'acquisition des deux véhicules. Selon elle, ces éléments étaient suffisants pour considérer qu'à première vue, le prix versé par la recourante était très largement inférieure à la valeur réelle des voitures, ce d'autant plus que la recourante avait ensuite elle-même mis la seule Mercedes en vente pour la somme de 90'000 fr. Elle a encore considéré qu'une telle différence entre le prix demandé et le prix du marché aurait dû éveiller les doutes de la recourante qui se dit active dans le commerce de voitures, quant à la possible origine délictueuse des deux véhicules. C'est pourquoi la cour cantonale a retenu que la recourante aurait à tout le moins dû se rendre compte qu'elle acquérait les deux véhicules à des prix particulièrement bas et ainsi suspecter leur origine délictueuse. Elle a ainsi estimé que la recourante ne pouvait pas se prévaloir de sa bonne foi et que c'était à juste titre que le ministère public avait attribué les deux véhicules litigieux à B.________ qui paraissait en l'état mieux légitimée.
3.3. La recourante soutient que la cour cantonale aurait préjugé de la question de sa bonne foi selon l'art. 933 al. 1 CC, alors qu'elle n'en aurait pas la compétence. Selon elle, ce ne serait qu'après le déroulement d'un procès civil, fondé sur l'art. 936 al. 1 CC et l'administration des preuves, que cette disposition pourrait être appliquée au détriment de la recourante et que la présomption légale de l'art. 933 al. 1 CC pourrait être renversée.
Toutefois, la recourante perd de vue que, lorsque le ministère public attribue les biens séquestrés en application de l'art. 267 al. 5 CPP, il doit s'inspirer des solutions du droit civil et que la décision qu'il rend ne préjuge pas de celle qui suivra éventuellement au civil, mais qu'elle répartit de façon provisoire le rôle des parties dans cette éventuelle procédure future. Partant, contrairement à ce qu'elle prétend, le ministère public et la cour cantonale saisie d'un litige relatif à une décision rendue par ce dernier à cet égard sont tenus d'effectuer un examen prima facie des normes civiles pertinentes, soit notamment des art. 714 al. 2 et 933 CC. Ces deux articles présupposant la bonne foi de l'acquéreur d'une chose mobilière, le ministère public et la cour cantonale sont également compétents pour procéder à un examen prima facie de la bonne foi de l'acquéreur afin de déterminer à qui attribuer les biens séquestrés et répartir ainsi de façon provisoire le rôle des parties dans la procédure civile.
S'agissant de sa bonne ou mauvaise foi, la recourante se contente de reprendre son argumentation relative au prix payé pour les véhicules, développée en lien avec son grief d'appréciation arbitraire des faits: comme démontré ci-dessus (supra consid. 2), ce dernier est toutefois infondé. En outre, elle ne se prononce pas sur les autres considérations de l'instance inférieure, soit qu'elle était active dans le commerce de voitures, qu'elle avait l'habitude d'évaluer la valeur marchande de ces dernières, et qu'elle avait mis en vente la Mercedes pour un prix supérieur au montant total versé au prévenu pour les deux véhicules. Or, le commerce de voitures d'occasion fait partie des domaines où des marchandises de provenance douteuse sont fréquemment offertes et dans lesquels il est exigé de l'acquéreur, qui a des connaissances en la matière, un degré élevé d'attention au sens de l'art. 3 al. 2 CC (cf. ATF 131 III 418 consid. 2.3.2; 122 III 1 consid. 2 b/aa; arrêt 6B_524/2019 du 24 octobre 2019 consid. 3.3.4) : lorsque l'attention requise par les circonstances n'a pas été respectée, cela implique les mêmes conséquences qu'en cas de mauvaise foi (cf. ATF 139 III 305 consid. 3.2.2; 122 III 1 consid. 2a). La cour cantonale n'a ainsi pas violé le droit fédéral en considérant qu'à première vue, la recourante, active dans le commerce de voiture, ne pouvait pas se prévaloir de sa bonne foi, car elle aurait dû suspecter l'origine délictueuse des deux voitures au vu de leur prix particulièrement bas.
Partant, le grief de violation du droit fédéral doit être rejeté.
4.
Vu ce qui précède, le recours est rejeté, dans la mesure de sa recevabilité, aux frais de la recourante (art. 66 al. 1 LTF) qui devra également verser une indemnité de dépens à B.________ (art. 68 al. 1 et 2 LTF).
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
 
1.
 
Le recours est rejeté, dans la mesure de sa recevabilité.
 
2.
 
Les frais judiciaires, arrêtés à 4'000 fr., sont mis à la charge de la recourante.
 
3.
 
La recourante versera à B.________ une indemnité de 1'500 fr. à titre de dépens.
 
4.
 
Le présent arrêt est communiqué aux mandataires des parties, au Ministère public de l'arrondissement de Lausanne et à la Chambre des recours pénale du Tribunal cantonal du canton de Vaud.
 
Lausanne, le 18 janvier 2022
 
Au nom de la Ire Cour de droit public
 
du Tribunal fédéral suisse
 
La Juge présidante : Jametti
 
La Greffière : Nasel