Abruf und Rang:
RTF-Version (SeitenLinien), Druckversion (Seiten)
Rang: 

Zitiert durch:


Zitiert selbst:


Bearbeitung, zuletzt am 04.08.2022, durch: DFR-Server (automatisch)
 
BGer 4A_548/2021 vom 22.03.2022
 
Tribunal fédéral
 
Tribunale federale
 
Tribunal federal
 
[img]
 
 
4A_548/2021
 
 
Arrêt du 22 mars 2022
 
I
 
Composition
 
Mmes les Juges fédérales
 
Hohl, Présidente, Kiss et May Canellas.
 
Greffière: Monti.
 
 
Participants à la procédure
 
A.________ SA,
 
représentée par Me Gabriel Aubert, avocat,
 
défenderesse et recourante,
 
contre
 
Z.________,
 
représenté par Me Aline Bonard, avocate,
 
demandeur et intimé.
 
Objet
 
contrat de travail; for du lieu où le travailleur exerce habituellement son activité professionnelle,
 
recours en matière civile contre l'arrêt rendu
 
le 8 septembre 2021 par la Chambre des prud'hommes de la Cour de justice du canton de Genève (C/14493/2019-3; CAPH/174/2021).
 
 
Faits :
 
A.
A.________ SA est une société anonyme sise à Berne.
Au début de l'année 2011, elle a recruté Z.________ comme responsable du marché international, en particulier de la France. Le prénommé était alors domicilié dans le canton de Genève, où il travaillait et où ses enfants étaient scolarisés.
Le contrat de travail devait prendre effet le 1er mai 2011 pour une durée indéterminée (art. 3.1). S'il désignait Berne comme lieu de travail, il précisait aussi que l'employé, dans le cadre de ses tâches et de sa fonction, pouvait être amené à exercer son activité professionnelle ailleurs en Suisse ou à l'étranger (art. 4).
Le 17 janvier 2012, les parties ont conclu un accord de télétravail prévoyant l'installation d'une place de travail au domicile du travailleur à... (GE) (art. 2), tout en laissant à sa disposition une place de travail au siège de l'entreprise (art. 4). Cela étant, le lieu de travail restait déterminé par le contrat individuel de travail (art. 5).
Les cocontractants ont encore signé le 12 mai 2016 une nouvelle convention identique au contrat initial.
L'employeuse a licencié le travailleur le 11 juin 2018 pour le 31 décembre 2018 et l'a libéré immédiatement de son obligation de travailler.
B.
Le 24 juin 2019, l'ex-employé a assigné l'entreprise en conciliation devant le Tribunal des prud'hommes du canton de Genève, instance compétente pour connaître des "litiges découlant d'un contrat de travail" au sens des art. 319 ss CO (Art. 1 al. 1 let. a de la loi genevoise sur le Tribunal des prud'hommes [LTPH; RS/GE E 3 10]).
Il a ultérieurement déposé une demande en paiement de 321'727 fr. 85. Outre une rémunération variable, il réclame une prestation fondée sur le plan social.
D'entrée de cause, l'entreprise défenderesse a soulevé un incident de procédure en dénonçant l'incompétence ratione loci du tribunal saisi.
Le Tribunal prud'homal, puis la Cour de justice genevoise ont rejeté l'exception et déclaré la demande recevable (pour les motifs, cf. consid. 2.3 infra).
C.
Agissant par la voie du recours en matière civile, l'entreprise (la recourante) a invité le Tribunal fédéral à constater l'incompétence " [d]es tribunaux genevois".
Le travailleur congédié (l'intimé) a conclu au rejet du recours dans la mesure de sa recevabilité, sans provoquer une réplique de l'intéressée.
L'autorité précédente s'est référée à son arrêt.
 
1.
La Cour de justice a rendu une décision incidente sur la compétence, qui peut être déférée au Tribunal fédéral sans attendre la décision finale (art. 92 al. 1 LTF; cf. arrêt 4A_131/2019 du 11 septembre 2019 consid. 1). Les autres conditions de recevabilité grevant l'exercice d'un recours en matière civile sont réalisées sur le principe, notamment celles afférentes au délai de 30 jours (art. 100 al. 1 LTF en lien avec l'art. 45 al. 1 LTF) et à la valeur litigieuse minimale de 15'000 fr. (art. 74 al. 1 let. a LTF en lien avec l'art. 51 al. 1 let. c LTF).
On ne tiendra pas rigueur à la recourante de chercher à faire constater l'incompétence des tribunaux genevois plutôt que d'exiger l'irrecevabilité de la demande, tant il est vrai que cette conséquence coule de source (cf. art. 59 al. 1 et al. 2 let. b CPC). L'intimé ne s'y est du reste pas trompé: dans son mémoire incident, il avait déjà invité les juges genevois à entrer en matière.
 
Erwägung 2
 
2.1. Le litige porte sur la compétence
En principe, la personne physique ou morale visée par une action civile a le droit d'être attraite devant le tribunal de son domicile, respectivement de son siège (art. 10 CPC en lien avec l'art. 30 al. 2 Cst.).
Toutefois, l'art. 34 al. 1 CPC prévoit un for alternatif dans les litiges de droit du travail:
"Le tribunal du domicile ou du siège du défendeur ou celui du lieu où le travailleur exerce habituellement son activité professionnelleest compétent pour statuer sur les actions relevant du droit du travail."
Il protège le travailleur en tant que partie socialement la plus faible (ATF 145 III 14 consid. 9; cf. PATRICIA DIETSCHY-MARTENET, Procédure civile et droit du travail, in Les procédures en droit du travail, 2020, p. 2; voir aussi le Message du 28 juin 2006 relatif au CPC, FF 2006 6883 ad art. 30 et l'expression "droit privé social"). L'employé ne peut pas renoncer à ce for avant la naissance du litige ou par acceptation tacite (art. 35 al. 1 let. d CPC).
2.2. La jurisprudence a précisé comment déterminer le "lieu où le travailleur exerce habituellement son activité professionnelle" (ATF 145 III 14 consid. 8 et 9; arrêt précité 4A_131/2019 consid. 3; arrêt 4A_236/2016 du 23 août 2016 consid. 2 et 5.5.1) :
- Est ciblé le lieu où se situe effectivement le centre de l'activité concernée.
N'entre pas en considération l'endroit désigné théoriquement comme lieu de travail, lorsque l'intention exprimée par les parties ne s'est pas concrétisée et qu'aucune activité n'y a été entreprise.
Les circonstances du cas concret sont décisives. Il faut tenir compte des aspects quantitatifset qualitatifs.
- Lorsque le travailleur est occupé simultanément dans plusieurs endroits, prévaut celui qui se révèle manifestement central, du point de vue de l'activité fournie.
- Les voyageurs de commerce ou autres travailleurs affectés au service extérieur d'une entreprise n'ont parfois aucun point de rattachement géographique prépondérant.
On peut cependant retenir un tel lien avec le lieu où le travailleur planifie et organise ses déplacements et accomplit ses tâches administratives. Il peut s'agir de son domicile personnel.
- Le for peut donc se trouver là où l'employeur n'a aucun établissement, ni aucune installation fixe.
- Il ne faut envisager qu'avec retenue la situation singulière où aucun for du lieu de travail habituel n'est disponible.
La cour de céans a dû définir le for d'une action intentée contre un directeur commercial qui avait été licencié, après avoir travaillé au service d'une société-fille sise à... (ZG) et dotée d'une succursale à... (GE), où se trouvait aussi le siège de la société-mère. Le directeur (ancien propriétaire de la société-fille) avait principalementeffectué des déplacements à l'étranger. Il avait passé environ deux jours par mois à... (ZG) et 3 jours à... (GE).
Dans des circonstances aussi peu détaillées, l'autorité de céans aurait pu concevoir qu'il n'existait aucun lieu de travail habituel, et partant aucun for correspondant. Ceci dit, elle "p[ouvai]t admettre" l'appréciation portée par la Cour de justice genevoise, qui avait retenu un tel lieu à... (GE), au siège du groupe dans lequel était intégré la société employeuse, et où le défendeur avait participé à des séances de direction et rencontré des clients (arrêt précité 4A_131/2019 consid. 3).
2.3. Dans le cas présent, la Cour de justice a désigné le canton de Genève comme lieu de travail habituel, pour les motifs suivants:
- Membre de la direction, le demandeur se rendait à Berneenviron deux jours par mois, parfois quatre, pour assister aux séances du comité de direction et rencontrer son supérieur hiérarchique.
Il n'y avait pas un bureau individuel, mais partageait un bureau avec son subalterne, voire avec l'ensemble des représentants de A.________ France.
- Cela étant, il ne prenait pas seulement des décisions lorsqu'il se trouvait à Berne, mais exerçait aussi une fonction dirigeante depuis son domicile genevois, où avait été installé un poste de télétravail. Il accomplissait même son activité principalement à cet endroit quand il n'était pas en déplacement à l'étranger, et ce d'un point de vue tant quantitatif que qualitatif.
De... (GE), il était en contact permanent avec ses collaborateurs directs de A.________ France et y organisait même des réunions avec les responsables de cette entité.
Il ne se déplaçait pas forcément à Berne pour rencontrer son supérieur, mais discutait aussi avec lui par téléphone. Depuis son domicile, il était en communication permanente avec le siège de l'entreprise.
En outre, il y organisait ses déplacements et s'y acquittait de toutes ses tâches administratives.
3.
La recourante décoche des moyens de fait et de droit contre cette analyse.
3.1. Le Tribunal fédéral statue sur la base des faits établis par l'autorité précédente (art. 105 al. 1 LTF). Le justiciable peut objecter que les faits ont été retenus de façon manifestement inexacte (c'est-à-dire arbitraire selon l'art. 9 Cst.) ou en violation du droit au sens de l'art. 95 LTF; la correction du vice doit cependant être susceptible d'influer sur le sort de la cause (art. 97 al. 1 LTF).
Du moment qu'il s'en prend à l'appréciation des preuves, le recourant doit soulever le grief d'arbitraire et expliquer de façon circonstanciée en quoi un tel vice entacherait le jugement porté par l'autorité précédente (principe de l'allégation, consid. 3.2 infra; voir par ex. ATF 140 III 264 consid. 2.3 p. 266; 133 II 249 consid. 1.4.3 p. 255). L'arbitraire ne résulte pas du seul fait qu'une autre solution serait défendable, voire préférable (ATF 137 I 1 consid. 2.4 i.f.).
3.2. Le recours en matière civile peut être formé pour violation du droit fédéral (art. 95 let. a LTF), qui est en principe appliqué d'office. Eu égard, toutefois, à l'exigence générale de motivation énoncée à l'art. 42 al. 2 LTF, l'autorité de céans n'examine d'ordinaire que les griefs soulevés, sauf en cas d'erreurs juridiques manifestes (ATF 140 III 115 consid. 2 p. 116). En outre, la dénonciation d'une violation des droits constitutionnels doit répondre à des exigences plus strictes: le principe d'allégation impose au recourant d'indiquer quel droit a été violé et d'expliquer par le détail en quoi consiste la violation (art. 106 al. 2 LTF; ATF 134 II 244 consid. 2.2; 133 II 396 consid. 3.2).
 
Erwägung 4
 
4.1. La recourante reproche aux juges d'appel d'avoir ignoré la volonté des parties qui auraient situé le lieu de travail habituel à Berne.
4.2. Comme cela vient d'être rappelé, la recherche de ce lieu doit se faire en fonction des liens
Deux cas de figure sont envisageables: d'une part l'hypothèse classique, évoquée par la doctrine, où les parties s'écartent en pratique de leur accord préalable. D'autre part, l'hypothèse particulière où les parties envisagent d'emblée une activité sur différents sites rendant impossible la détermination d'un lieu de travail habituel, de sorte qu'elles conviennent de désigner quel endroit doit être traité comme tel, afin de maintenir un for spécial pour le travailleur. Un tel accord paraît prima facie valable, si tant est que l'application des critères précités (consid. 2.2) aboutisse réellement à une impasse et qu'aucun centre d'activité ne se détache; la prudence est de mise, vu l'interdiction formulée à l'art. 35 CPC. Dans le cas concret, on ne discerne aucuns indices plaidant pour cette seconde hypothèse; ou du moins peut-on constater leur inexistence sans verser dans l'arbitraire.
Il convient donc de rechercher avec quel lieu l'employé avait effectivemententretenu le plus d'attaches, démarche que les juges genevois ont précisément suivie. Il sied à ce stade de prendre en compte les autres griefs soulevés par la recourante.
4.3. Au niveau factuel, l'autorité précédente aurait arbitrairement omis de constater que l'employé avait un bureau à Berne.
Le grief est peu compréhensible.
La cour cantonale a en effet retenu que l'employé n'avait pas un bureau individuel à Berne, mais en partageait un avec son subalterne - voire avec l'ensemble des représentants de A.________ France.
On ne discerne pas quelle pourrait être l'ambiguïté d'une telle constatation. La recourante ne conteste pas que l'intimé a partagé un bureau avec son subalterne direct. Or, cet élément peut constituer un indice à intégrer dans l'appréciation globale, sachant que l'intimé occupait une position dirigeante et appartenait à l'équipe de direction.
Par ailleurs, il n'était pas insoutenable - tant s'en faut - de retenir que le bureau avait éventuellement aussi été utilisé par l'équipe de A.________ France. L'usage de la conjonction "voire" souligne le caractère hypothétique de ce constat et relativise son importance. Qu'il découle d'un témoignage unique - le directeur de A.________ France - ne suffit pas à établir un arbitraire. Il paraît pour le moins défendable que le bureau ait pu ponctuellement servir de point de chute aux membres de l'équipe étrangère en déplacement à Berne, même si l'intimé n'a pas évoqué ce cas de figure.
4.4. L'autorité d'appel aurait omis de constater l'importance quantitative du travail effectué à l'étranger, qui aurait représenté environ la moitié du temps d'activité de l'employé intimé et dépassé le temps de travail à Genève.
Les deux décisions cantonales ont évoqué les différentes déclarations et témoignages sans explicitement chiffrer le temps passé à l'étranger. Tout au plus est-il constaté que l'employé se déplaçait fréquemment à l'étranger en tant que responsable du marché international, notamment de la France. Lorsqu'il n'était pas à l'étranger, l'employé était plus souvent à... (GE) qu'à Berne; au niveau qualitatif aussi, l'activité dans le canton de Genève était plus importante.
Il n'apparaît pas qu'il y ait de véritable différend quant à l'ampleur du temps passé à l'étranger: de l'aveu même de la recourante, l'intimé a soutenu "à juste titre" qu'il se trouvait à l'étranger au maximum environ 50% de son temps; elle n'a pas soutenu que ce travail se démarquait au niveau qualitatif. Le débat porte sur le point de savoir si Berne ou Genève constituait le lieu de travail habituel. Or, la recourante ne taxe pas d'arbitraire le constat selon lequel l'intimé, lorsqu'il était en Suisse, passait plus de temps à... (GE) qu'à Berne; elle le concède même à la fin de son développement. La même remarque vaut pour les précisions factuelles sous-tendant la conclusion selon laquelle l'activité qualitative était aussi plus importante qu'à Berne.
4.5. La recourante reproche encore aux juges d'appel d'avoir méconnu l'évolution technologique dans les rapports de travail, et d'avoir pris en compte le lieu où l'intimé accomplissait son télétravail - soit son domicile genevois -, plutôt que le lieu d'impact du travail ainsi accompli, qu'elle situe à Berne.
En cas de travail à distance, par informatique et téléphone, l'endroit (ou les endroits) où était accomplie cette activité est certes digne de considération. Toutefois, il s'agit d'un élément parmi d'autres, voué à s'insérer dans l'appréciation globale des éléments quantitatifs et qualitatifs permettant de désigner le lieu habituel de l'activité. C'est en ce sens qu'il siérait de nuancer les propos tenus par certains auteurs, selon lesquels l'endroit où est accompli le télétravail, généralement au domicile de l'employé, pourra constituer le lieu de travail effectif (SUTTER-SOMM/SEILER, in Handkommentar zur Schweizerischen Zivilprozessordnung, CHK, 2021, n° 17 ad art. 34 CPC; FRIDOLIN WALTHER, in Berner Kommentar, 2012, n° 9 ad art. 34 CPC); pareille réserve semble toutefois implicite auxdits commentaires.
4.6. L'autorité précédente aurait omis d'examiner quel juge était le plus apte à trancher le litige.
L'expression vient de la jurisprudence internationale, dont la cour de céans a indiqué qu'elle entrait en considération dans l'interprétation de l'art. 34 CPC (cf. ATF 145 III 14 consid. 6 i.f.et 7, p. 16). La recourante ne saurait pour autant dévoyer cette pratique.
On conçoit qu'il eût été plus commode pour elle d'être actionnée au lieu de son siège, et on lui donnera acte que divers documents versés au dossier (15-16 sur 35, selon ses dires) sont en langue allemande. Toutefois, l'art. 34 CPC n'est pas voué à procurer un tel confort à l'employeur, mais bien plutôt à protéger le travailleur en tant que partie socialement la plus faible. Que l'intimé ait occupé une position élevée ne suffit pas à le priver d'un tel for. Pas plus que l'affirmation selon laquelle l'affaire concernerait plusieurs membres de la direction à Berne.
Pour le surplus, la recourante ne saurait préjuger d'une incapacité des juges romands à comprendre la langue de Goethe, ni minimiser les possibilités de traduction. Que celles-ci aient un coût ne modifie pas la portée de l'art. 34 CPC.
4.7. En définitive, il appert que les juges d'appel se sont conformés à la méthode prescrite par la jurisprudence. La recourante échoue à insuffler un quelconque sentiment d'arbitraire concernant les données factuelles. Or, celles-ci permettaient de retenir sans enfreindre le droit fédéral que le lieu de travail habituel se trouvait à Genève plutôt qu'à Berne. Encore une fois, la recourante ne fournit pas d'arguments aptes à convaincre que les critères quantitatifs et qualitatifs désignaient Berne.
Elle insiste sur la clause insérée dans le contrat initial et répétée au cours des relations de travail, qui désignait la capitale comme lieu de travail. Or, pour les raisons déjà exposées, cet argument n'est d'aucun secours. Au demeurant, la recourante n'a pas contredit l'intimé lorsqu'il a affirmé qu'elle insérait systématiquement une telle clause "de pure forme" dans les contrats rédigés par ses soins (réponse, p. 8). L'analyse opérée par la cour cantonale tend à confirmer cette thèse.
La recourante est bien inspirée de ne plus insister à ce stade sur l'arrêt 4A_236/2016 ( supra consid. 2.2), qui traite d'une situation singulière avec des données factuelles étiques, ayant conduit la cour de céans à entériner du bout des lèvres la décision d'appréciation prise par les juges cantonaux, alors que l'alternative eût été de nier l'existence du for de l'art. 34 CPC - solution que certains auteurs désapprouvent (cf. DIETSCHY-MARTENET, Procédure civile et droit du travail, op. cit., p. 6; voir aussi les références de HAAS/STRUB, in Kurzkommentar Schweizerische Zivilprozessordnung, 3e éd. 2021, n° 8 i.f. ad art. 34 CPC).
5.
La recourante reproche finalement à l'intimé d'avoir commis un abus de droit en signant par trois fois des accords désignant Berne comme lieu de travail.
L'argument se heurte aux réflexions qui viennent d'être émises (consid. 4.2 et 4.7 supra). Il méconnaît aussi que l'abus de droit présuppose des circonstances exceptionnelles, sous peine de rendre illusoire la protection octroyée au travailleur (ATF 135 III 349 consid. 3 p. 355; arrêt 4A_587/2020 du 28 mai 2021 consid. 6.1). Or, le présent cas n'appartient pas à ces situations extraordinaires.
6.
En bref, la Cour de justice a rendu une décision nuancée et dûment motivée, faisant appel à l'appréciation, qui ne peut être que confirmée.
Aussi la recourante devra-t-elle supporter l'émolument judiciaire (art. 66 al. 1 LTF) et verser à l'intimé une indemnité pour ses frais d'avocat (art. 68 al. 1 et 2 LTF).
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
 
1.
 
Le recours est rejeté.
 
2.
 
Les frais judiciaires, arrêtés à 5'000 fr., sont mis à la charge de la recourante.
 
3.
 
La recourante versera à l'intimé une indemnité de 6'000 fr. à titre de dépens.
 
4.
 
Le présent arrêt est communiqué aux parties et à la Cour de justice du canton de Genève.
 
Lausanne, le 22 mars 2022
 
Au nom de la I re Cour de droit civil
 
du Tribunal fédéral suisse
 
La Présidente : Hohl
 
La Greffière : Monti