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BGer 1B_103/2022 vom 06.04.2022
 
Tribunal fédéral
 
Tribunale federale
 
Tribunal federal
 
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1B_103/2022
 
 
Arrêt du 6 avril 2022
 
 
Ire Cour de droit public
 
Composition
 
Mme et MM. les Juges fédéraux Jametti, Juge présidant, Chaix et Merz.
 
Greffier : M. Kurz.
 
 
Participants à la procédure
 
A.________, représenté par Me Nicolas Blanc, avocat,
 
recourant,
 
contre
 
Procureur général du canton de Vaud, avenue de Longemalle 1, 1020 Renens.
 
Objet
 
Procédure pénale; communication de l'avis d'ouverture d'une instruction pénale à l'autorité disciplinaire,
 
recours contre l'arrêt du Tribunal cantonal du canton
 
de Vaud, Chambre des recours pénale, du 31 décembre 2021 (1190 - PE21.019051-EBJ).
 
 
Faits :
 
A.
Le 2 novembre 2021, le Ministère public de l'arrondissement de l'Est vaudois a ouvert une instruction pénale contre A.________ pour avoir contraint une collègue de travail à une relation sexuelle non consentie. Le 8 novembre 2021, le Ministère public a invité A.________ à faire savoir s'il acceptait que l'ouverture de l'enquête soit communiquée à l'autorité disciplinaire compétente, soit le Département de la santé et de l'action sociale du canton de Vaud (DSAS), l'intéressé étant, jusqu'au 30 novembre 2021, auxiliaire de santé auprès d'une entreprise de soins et d'aide à domicile. Le 24 novembre 2021, A.________ s'est opposé à cette communication, exposant que sa version et celle de la plaignante divergeaient quant à la verbalisation de l'absence de consentement et à la chronologie des faits. Ceux-ci ne s'étaient pas déroulés dans un cadre professionnel. Il n'y avait pas de risque concret d'atteinte à l'intégrité des patients; il avait été licencié de son poste d'auxiliaire de santé.
Par ordonnance du 8 décembre 2021, le Procureur général du canton de Vaud a décidé de communiquer l'ouverture de l'instruction pénale au DSAS. Supposés avérés, les faits poursuivis étaient inquiétants et mettaient en cause la capacité du prévenu, auxiliaire de santé, à s'occuper de personnes vulnérables et dépendantes de soins, qui plus est au domicile de ces dernières. Le prévenu avait des antécédents de violences domestiques et de lésions corporelles et ne pouvait tirer argument du fait qu'il avait été licencié par son employeur.
B.
Par arrêt du 31 décembre 2021, la Chambre des recours pénale du Tribunal cantonal vaudois a confirmé cette décision. L'art. 19 al. 1 de la loi vaudoise d'introduction du code de procédure pénale suisse (LVCPP, RS/VD 312.01) permettait une communication au terme d'une pesée d'intérêts. Le recourant exerçait l'une des professions visées dans la directive du Procureur général (assistant en soins). Même isolés et commis au domicile privé, les faits poursuivis permettaient de craindre des comportements inadéquats dans une activité professionnelle où l'intéressé serait amené à s'occuper de personnes vulnérables et dépendantes.
C.
Agissant par la voie du recours en matière pénale, A.________ demande la réforme de l'arrêt cantonal en ce sens que l'ordonnance du 8 décembre 2021 est annulée; subsidiairement, il conclut au renvoi de la cause au Tribunal cantonal pour nouvelle décision dans le sens des considérants. Il demande l'effet suspensif - qui a été accordé à titre superprovisoire - ainsi que l'assistance judiciaire.
La Chambre des recours pénale et le Ministère public se réfèrent à l'arrêt attaqué, sans autres observations.
 
1.
L'arrêt attaqué - rendu par une autorité statuant en tant que dernière instance cantonale (art. 80 al. 1 LTF) - confirme la décision du Ministère public de communiquer l'ouverture de l'instruction à une autorité cantonale, en application de l'art. 75 al. 4 CPP. Il s'agit d'une décision rendue dans le cadre d'une procédure pénale, susceptible d'un recours au sens des art. 78 ss LTF. Le recourant dispose d'un intérêt juridique à obtenir l'annulation ou la modification de la décision attaquée (art. 81 al. 1 LTF). Le recours a été déposé en temps utile (art. 100 al. 1 LTF) et les conclusions qui y sont prises sont en principe recevables (art. 107 al. 2 CPP).
La décision en question est incidente puisqu'elle ne met pas fin à la procédure pénale. Le recourant soutient qu'elle lui causerait un préjudice irréparable car la communication de l'ouverture d'une instruction pénale à une autorité tierce porterait une atteinte irréparable à son droit au respect de la vie privée tel que garanti par l'art. 13 Cst. La question de savoir s'il en résulte un préjudice irréparable au sens de l'art. 93 al. 1 let. a LTF peut toutefois demeurer indécise, vu l'issue de la cause sur le fond.
2.
Le recourant invoque le droit au respect de la vie privée (art. 13 Cst.). Il estime que l'instance précédente n'aurait pas examiné l'admissibilité de la mesure contestée du point de vue des règles d'aptitude et de nécessité. Il relève que selon les art. 191 et 191a de la loi cantonale sur la santé publique (LSP, RS/VD 800.01), une sanction administrative ou des mesures provisionnelles nécessiteraient une condamnation pénale, respectivement des infractions graves à l'encontre de patients, ce qui ne serait pas le cas en l'espèce. L'information donnée au DSAS ne serait dès lors pas apte à assurer la protection des patients. Au regard de l'intérêt poursuivi (contesté et en tout cas "résiduel"), le recourant estime que l'atteinte à sa vie privée serait disproportionnée.
2.1. Selon l'art. 75 al. 4 CPP, outre les cas d'information obligatoire prévus aux alinéas précédents, la Confédération et les cantons peuvent astreindre ou autoriser les autorités pénales à faire d'autres communications à des autorités. De telles dérogations au secret de fonction nécessitent une base légale formelle (STEINER/ARN, Commentaire romand CPP, 2ème éd. 2019, n° 38 ad art. 75).
Intitulé "Droits et devoirs de communication" et faisant expressément référence à l'art. 75 al. 4 CPP, l'art. 19 LVCPP a la teneur suivante:
1 Les autorités pénales ne peuvent communiquer à d'autres autorités fédérales ou cantonales, à l'exclusion des autorités de poursuite pénale, des informations sur les procédures pénales qu'elles conduisent que si l'intérêt public à ce que ces informations soient communiquées l'emporte sur l'intérêt des parties à voir leurs droits de la personnalité respectés.
2 Le Ministère public avise le président du Tribunal cantonal de toute enquête pénale dirigée contre un magistrat ou un collaborateur de l'ordre judiciaire.
3 Les parties sont informées de la communication, sauf si un intérêt public prépondérant exige que celle-ci demeure secrète.
Cette disposition, figurant dans une loi au sens formel, constitue une clause générale permettant la communication d'informations par les autorités pénales à des autorités administratives. Son application nécessite toutefois une pesée d'intérêts dans chaque cas particulier (STEINER/ARN, op. cit. n° 39 ad art. 75). Le recourant ne conteste d'ailleurs pas l'existence même d'une base légale à la mesure contestée. Son argumentation porte exclusivement sur le respect de la proportionnalité.
2.2. Consacré à l'art. 5 al. 2 Cst., le principe de proportionnalité exige qu'une mesure restrictive soit apte à produire les résultats escomptés (règle de l'aptitude) et que ceux-ci ne puissent être atteints par une mesure moins incisive (règle de la nécessité); en outre, il interdit toute limitation allant au-delà du but visé et il exige un rapport raisonnable entre celui-ci et les intérêts publics ou privés compromis (principe de la proportionnalité au sens étroit), impliquant une pesée des intérêts (ATF 146 I 157 consid. 5.4 et les arrêts cités; 143 I 403 consid. 5.6.3 et les références; 141 I 1 consid. 5.3.2 et les références).
2.3. Le recourant exerce la profession d'auxiliaire de santé, et travaillait en dernier lieu auprès d'une entreprise de soins et d'aide à domicile. A ce titre, il accompagne et supplée des personnes dans les activités de la vie quotidienne (art. 124a LSP). Il est ainsi amené à s'occuper de personnes vulnérables et dépendantes, notamment aux domiciles de celles-ci et donc sans surveillance particulière. Dans la procédure pénale, il se voit reprocher d'avoir porté atteinte à l'intégrité sexuelle d'une collègue de travail de 16 ans sa cadette, alors que celle-ci était endormie et sous l'effet de stupéfiants. Même s'il conteste ces faits, il existe un intérêt public évident à ce que l'autorité de surveillance des professions de la santé soit informée de l'existence de ces soupçons. Sur la base de cette information, le DSAS pourra décider notamment s'il envisage une sanction administrative ou une autre mesure. Contrairement à ce que soutient le recourant, l'art. 191 LSP s'applique non seulement en cas de condamnation pour un crime ou un délit, mais aussi notamment lorsqu'une personne "est convaincue d'immoralité". Par ailleurs, les mesures provisionnelles urgentes que le département peut également prendre sur la base de l'art. 191a LSP ne dépendent pas de l'existence d'un jugement de condamnation entré en force; dans ce cadre, il appartient à l'autorité de surveillance d'apprécier, au vu des renseignements en sa possession, s'il existe un risque d'"état de fait contraire à la présente loi" ou une menace pour "la sécurité des patients ou le respect de leurs droits fondamentaux". Par nature, une mesure provisionnelle ne suppose pas que les faits aient été complètement élucidés - ni a fortiori que le recourant ait été condamné -, l'autorité pouvant agir sur la base de la vraisemblance ou d'indices suffisants (ATF 139 III 86 consid. 4.2). Le recourant indique qu'il est actuellement sans emploi, mais il ne se justifie pas d'attendre un nouvel engagement pour permettre à l'autorité de surveillance de prendre les mesures qu'elle jugera appropriées. Dans la mesure où l'information sur l'ouverture d'une instruction est propre à permettre au département de se déterminer à ce sujet, la condition de l'aptitude est réalisée.
2.4. Le principe de la proportionnalité au sens étroit l'est également car la communication se limite en l'état à la seule ouverture d'une instruction pénale à l'encontre du recourant. Le Ministère public a précisé que cette communication se fera dans le respect de la présomption d'innocence. C'est ensuite à l'autorité de surveillance qu'il appartiendra de décider des mesures à prendre et le recourant disposera le cas échéant de la protection juridique aménagée par la loi. L'atteinte au droit au respect de la vie privée apparaît dans ces circonstances comme proportionnée.
3.
Le recours doit par conséquent être rejeté, dans la mesure où il est recevable. Le recourant a demandé l'assistance judiciaire et celle-ci peut lui être accordée. Il y a lieu de désigner Me Nicolas Blanc en tant qu'avocat d'office du recourant et de lui allouer une indemnité à titre d'honoraires, supportée par la caisse du Tribunal fédéral. Il n'est pas perçu de frais judiciaires, ni alloué de dépens (art. 68 al. 3 LTF). Le présent arrêt rend par ailleurs sans objet la demande d'effet suspensif.
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
 
1.
 
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable.
 
2.
 
La demande d'assistance judiciaire est admise. Me Nicolas Blanc est désigné comme avocat d'office du recourant et une indemnité de 1'500 fr. lui est allouée à titre d'honoraires, à payer par la caisse du Tribunal fédéral. Il n'est pas perçu de frais judiciaires.
 
3.
 
Le présent arrêt est communiqué au mandataire du recourant, au Procureur général du canton de Vaud et au Tribunal cantonal du canton de Vaud, Chambre des recours pénale.
 
Lausanne, le 6 avril 2022
 
Au nom de la Ire Cour de droit public
 
du Tribunal fédéral suisse
 
La Juge présidant : Jametti
 
Le Greffier : Kurz