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BGer 4A_573/2021 vom 17.05.2022
 
Tribunal fédéral
 
Tribunale federale
 
Tribunal federal
 
[img]
 
 
4A_573/2021
 
 
Arrêt du 17 mai 2022
 
 
Ire Cour de droit civil
 
Composition
 
Mmes et M. les Juges fédéraux
 
Hohl, Présidente, Kiss et Rüedi.
 
Greffière: Mme Raetz.
 
 
Participants à la procédure
 
A.________ SA,
 
représentée par Me François Roullet, avocat,
 
recourante,
 
contre
 
1. B.________,
 
représenté par Me David Aubert, avocat,
 
2. C.________,
 
Tribunal des prud'hommes,
 
boulevard Helvétique 27, 1207 Genève,
 
intimés.
 
Objet
 
procédure civile; délai de recours;
 
protection de la bonne foi,
 
recours contre l'arrêt rendu le 8 octobre 2021 par la Chambre des prud'hommes de la Cour de justice du canton de Genève (C/29814/2018-3; CAPH/190/2021).
 
 
Faits :
 
 
A.
 
A.a. B.________ a déposé une demande auprès du Tribunal des prud'hommes du canton de Genève à l'encontre de son ancienne employeuse, A.________ SA, représentée par Me François Roullet. La demande tendait au paiement des sommes de 54'592 fr. et 10'455 fr. avec intérêts, ainsi qu'à la délivrance de plusieurs documents (art. 105 al. 2 LTF).
Par jugement du 21 juin 2021, la Présidente du groupe 3 du Tribunal des prud'hommes a rejeté la demande de récusation formée les 26 avril et 5 mai 2021 par B.________ à l'encontre du Président C.________. A la fin de ce jugement, il était indiqué qu'il pouvait faire l'objet d'un recours par devant la Cour de justice dans un délai de 30 jours à compter de sa notification.
Ce jugement a été communiqué pour notification aux parties par pli recommandé. Il a été distribué à A.________ SA le 22 juin 2021 selon le suivi des envois de La Poste.
A.b. Par acte du 19 août 2021, A.________ SA, toujours représentée par Me François Roullet, a interjeté un recours à l'encontre de ce jugement auprès de la Chambre des prud'hommes de la Cour de justice du canton de Genève.
Par arrêt du 8 octobre 2021, la cour cantonale a déclaré le recours irrecevable pour cause de tardiveté. Elle a relevé que les décisions du tribunal statuant sur une demande de récusation étaient uniquement susceptibles de faire l'objet d'un recours dans un délai de 10 jours à compter de leur notification. En l'occurrence, le délai de recours était venu à échéance le 2 juillet 2021. Le fait que le tribunal ait mentionné par erreur que le délai de recours était de 30 jours et non de 10 jours ne justifiait pas la prolongation du délai de recours. En effet, la recourante était représentée par un avocat expérimenté. On pouvait raisonnablement attendre qu'il procède à un examen sommaire de la décision querellée et qu'il se rende compte de cette erreur.
 
B.
 
A.________ SA (ci-après: la recourante) a exercé un recours en matière civile au Tribunal fédéral à l'encontre de cet arrêt. Elle a conclu à son annulation et au renvoi de la cause à l'autorité précédente pour nouvelle décision au sens des considérants.
Par ordonnance présidentielle du 12 novembre 2021, la demande d'assistance judiciaire formulée par B.________ (ci-après: l'intimé 1) a été admise et Me David Aubert désigné comme son avocat d'office.
Dans sa réponse du 24 novembre 2021, l'intimé 1 a conclu au rejet du recours. En lien avec l'octroi de l'assistance judiciaire, il a précisé être au bénéfice d'une assurance de protection juridique, laquelle avait limité " sa participation aux 54 % de ses frais ".
C.________ (ci-après: l'intimé 2) ne s'est pas déterminé.
La cour cantonale s'est référée à son arrêt.
 
 
Erwägung 1
 
L'arrêt de la cour cantonale est une décision incidente relative à une demande de récusation; elle peut faire l'objet d'un recours en matière civile (art. 72 al. 1 et art. 92 al. 1 LTF) et doit être immédiatement attaquée en vertu de l'art. 92 al. 2 LTF (arrêts 4A_571/2021 du 15 mars 2022 consid. 1; 4A_272/2021 du 26 août 2021 consid. 1).
Les conditions de recevabilité du recours en matière civile sont pour le surplus satisfaites, notamment à raison de la valeur litigieuse; en l'état de la cause, celle-ci correspond aux conclusions en paiement articulées par B.________ devant le Tribunal des prud'hommes (art. 51 al. 1 let. c LTF en lien avec l'art. 74 al. 1 let. a LTF).
 
Erwägung 2
 
Il n'est pas contesté que la décision de la Présidente du groupe 3 du Tribunal des prud'hommes portant sur la récusation d'un autre Président était susceptible d'un recours dans un délai de 10 jours.
La recourante dénonce uniquement une violation de son droit à la protection de la bonne foi de l'art. 5 al. 3 Cst., dans la mesure où la cour cantonale n'a pas protégé la confiance qu'elle pouvait placer dans l'indication erronée du délai de recours de 30 jours figurant dans cette décision.
 
Erwägung 3
 
Aux termes de l'art. 5 al. 3 Cst., les organes de l'Etat et les particuliers doivent agir de manière conforme aux règles de la bonne foi. De ce principe général découle notamment le droit fondamental du particulier à la protection de sa bonne foi dans ses relations avec l'Etat, consacré à l'art. 9 in fine Cst., dont le Tribunal fédéral contrôle librement le respect (ATF 147 IV 274 consid. 1.10.1; ATF 138 I 49 consid. 8.3.1).
On déduit du principe de la bonne foi précité que les parties ne doivent subir aucun préjudice en raison d'une indication inexacte des voies de droit (ATF 138 I 49 consid. 8.3.2). Elles ne doivent pas non plus pâtir d'une réglementation légale des voies de recours peu claire ou contradictoire (ATF 123 II 231 consid. 8b; arrêt 4A_475/2018 du 12 septembre 2019 consid. 5.1 non publié à l'ATF 145 III 469; voir aussi ATF 144 II 401 consid. 3.1).
Une partie ne peut toutefois se prévaloir de cette protection que si elle se fie de bonne foi à cette indication. Tel n'est pas le cas de celle qui s'est aperçue de l'erreur, ou aurait dû s'en apercevoir en prêtant l'attention commandée par les circonstances. Seule une négligence procédurale grossière peut faire échec à la protection de la bonne foi. Déterminer si la négligence commise est grossière s'apprécie selon les circonstances concrètes et les connaissances juridiques de la personne en cause (ATF 138 I 49 consid. 8.3.2). Le plaideur dépourvu de connaissances juridiques peut se fier à une indication inexacte des voies de recours, s'il n'est pas assisté d'un avocat et qu'il ne jouit d'aucune expérience particulière résultant, par exemple, de procédures antérieures (ATF 135 III 374 consid. 1.2.2; arrêt 4A_475/2018 précité consid. 5.1). Les exigences envers les parties représentées par un avocat sont naturellement plus élevées: on attend dans tous les cas des avocats qu'ils procèdent à un contrôle sommaire (" Grobkontrolle ") des indications relatives à la voie de droit. La protection cesse s'ils auraient pu se rendre compte de l'inexactitude de l'indication des voies de droit en lisant simplement la législation applicable. En revanche, il n'est pas attendu d'eux qu'outre les textes de loi, ils consultent encore la jurisprudence ou la doctrine y relatives (ATF 141 III 270 consid. 3.3, ainsi que le consid. 3.2 non publié; ATF 138 I 49 consid. 8.3.2 et 8.4; ATF 135 III 489 consid. 4.4; ATF 135 III 374 consid. 1.2.2.1; ATF 134 I 199 consid. 1.3.1 et les arrêts cités; arrêts 4D_32/2021 du 27 octobre 2021 consid. 5.2; 4A_203/2019 du 11 mai 2020 consid. 1.3.2 non publié in ATF 146 III 254; 4A_170/2017 du 22 mai 2018 consid. 6.2.1.1).
 
Erwägung 4
 
Le présent cas a trait à une décision de récusation. Le délai de recours de 10 jours applicable a été clarifié par la jurisprudence, à savoir l'ATF 145 III 469 consid. 3, ce qui n'est pas contesté par les parties. Dans cet ATF, le Tribunal fédéral a retenu que la procédure sommaire était applicable aux demandes de récusation, de sorte que les décisions concernant la récusation devaient être attaquées dans le délai de dix jours prévu par l'art. 321 al. 2 CPC. Au vu des développements opérés dans le considérant topique de cet ATF, on ne saurait considérer qu'un tel délai ressort de la seule lecture de la loi.
La recourante se prévaut de la protection de sa bonne foi en se fondant sur la jurisprudence retenant le critère de la lecture de la législation (cf. supra consid. 3 in fine) et souligne que les arrêts publiés " aux ATF " n'ont pas de portée pour juger de la bonne foi.
Cette jurisprudence ne peut toutefois pas être reprise sans autre ici. Les circonstances concrètes doivent également être prises en compte. En l'occurrence, cette question du délai de recours a précisément été clarifiée récemment par l'ATF 145 III 469. Ce dernier est très clair s'agissant du délai de recours de 10 jours, lequel est d'ailleurs même indiqué explicitement dans le regeste. Cet ATF, qui concernait également une affaire genevoise, a été publié au Recueil officiel des arrêts du Tribunal fédéral en mars 2020.
Or, sous l'angle de la responsabilité de l'avocat, ce dernier doit, selon une pratique constante, connaître la jurisprudence publiée au Recueil officiel des arrêts du Tribunal fédéral. C'est la publication dans ce recueil qui est déterminante pour dire, en règle générale, le moment à partir duquel un avocat devrait avoir connaissance d'une nouvelle jurisprudence (ATF 134 III 534 consid. 3.2.3.3; arrêts 4A_62/2021 du 27 décembre 2021 consid. 4.3.2; 4A_322/2020 du 7 juillet 2020; cf. également arrêts 4A_111/2012 du 26 mars 2012; 4A_478/2011 du 30 novembre 2011 consid. 1.1; 4A_69/2010 du 6 avril 2010 consid. 6).
La recourante, représentée par un avocat, a déposé son recours à l'encontre du jugement rejetant sa demande de récusation le 19 août 2021. Ainsi, par son mandataire, elle se devait de connaître la jurisprudence topique, laquelle avait à ce moment déjà été publiée au recueil précité. Retenir le contraire serait incompatible avec la jurisprudence concernant la responsabilité de l'avocat.
Ainsi, la recourante, assistée par son mandataire, aurait dû procéder à un examen sommaire des voies de droit et se rendre compte de l'indication erronée. Partant, on ne saurait retenir que l'intéressée, par son avocat, aurait prêté l'attention commandée par les circonstances. Elle ne peut donc pas se prévaloir de la protection de sa bonne foi.
Par ailleurs, il importe peu que le jugement rejetant sa demande de récusation ne spécifie pas qu'il a été rendu en procédure sommaire. En outre, lorsque la recourante allègue que la procédure ne paraissait pas dictée par des considérations de célérité, dès lors que chacune des parties avait pu obtenir une prolongation de délai pour répondre, elle se fonde sur des faits qui n'ont pas été constatés par l'instance précédente. En tout état de cause, au vu de ce qui précède, cela ne justifie pas d'admettre ici la protection de la bonne foi.
 
Erwägung 5
 
En définitive, le recours doit être rejeté, dans la mesure où il est recevable.
La recourante, qui succombe, prendra en charge les frais judiciaires (art. 66 al. 1 LTF). Elle versera en outre une indemnité de dépens à l'intimé 1 (art. 68 al. 1 et 2 LTF).
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
 
1.
 
Le recours est rejeté, dans la mesure où il est recevable.
 
2. Les frais judiciaires, arrêtés à 1'000 fr., sont mis à la charge de la recourante.
 
3. La recourante versera à l'intimé 1 une indemnité de 2'500 fr. à titre de dépens.
 
4.
 
Le présent arrêt est communiqué aux parties et à la Chambre des prud'hommes de la Cour de justice du canton de Genève.
 
Lausanne, le 17 mai 2022
 
Au nom de la Ire Cour de droit civil
 
du Tribunal fédéral suisse
 
La Présidente : Hohl
 
La Greffière : Raetz