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BGer 1B_173/2022 vom 19.05.2022
 
Tribunal fédéral
 
Tribunale federale
 
Tribunal federal
 
[img]
 
 
1B_173/2022
 
 
Arrêt du 19 mai 2022
 
 
Ire Cour de droit public
 
Composition
 
MM. et Mme les Juges fédéraux Kneubühler, Président,
 
Chaix et Jametti.
 
Greffière : Mme Arn.
 
 
Participants à la procédure
 
A.________,
 
représenté par Me Cédric Baume, avocat,
 
recourant,
 
contre
 
Juge pénal du Tribunal de première instance de la République et canton du Jura,
 
Palais de Justice, case postale 86, 2900 Porrentruy 2.
 
Objet
 
Procédure pénale; refus de traduction de pièces
 
et de l'acte d'accusation,
 
recours contre la décision de la Chambre pénale
 
des recours du Tribunal cantonal de la République
 
et canton du Jura, du 16 mars 2022 (CPR 16/2022).
 
 
Faits :
 
 
A.
 
A.a. Par acte d'accusation du 17 mai 2021, A.________ - assisté de Me B.________, désignée en tant qu'avocate d'office en date du 27 août 2018 - a été renvoyé en jugement devant le juge pénal du Tribunal de première instance de Porrentruy pour lésions corporelles simples, voies de fait, injures, menaces, contrainte, insoumission à une décision de l'autorité, dommages à la propriété, infractions commises entre juillet 2018 et novembre 2020 au préjudice de son épouse, ainsi que d'injures, contrainte, dommages à la propriété et vol, infractions commises de janvier 2019 à février 2020 au préjudice de son fils.
Cette procédure pénale s'inscrit dans le cadre d'une séparation conjugale conflictuelle qui a en particulier pour objet la poursuite de l'exploitation du domaine agricole par A.________, son épouse et leur fils; A.________ intervient également en tant que partie plaignante dans cette procédure. Son épouse est, quant à elle, renvoyée devant le juge pénal pour dommages à la propriété, injures, menaces, voies de fait et dommages à la propriété commis en juin et juillet 2019 au préjudice de son époux; quant à leur fils, il est renvoyé pour vol d'importance mineure commis en juillet 2019 au préjudice de son père.
A.b. Le 6 octobre 2021, la Juge pénale du Tribunal de première instance (ci-après: la Juge pénale) a refusé la requête de A.________ du 24 août 2021 tendant à la révocation du mandat d'office de Me B.________. Le 10 novembre 2021, la Juge pénale a néanmoins révoqué le mandat d'office de Me B.________, à la demande de A.________, dès lors que ce dernier avait mandaté en tant que défenseur privé Me Baume, qui le représentait déjà sur le plan civil.
L'audience agendée au 22 novembre 2021 devant le Tribunal de première instance a été reportée au 4 avril 2022, Me Baume étant déjà retenu par une audience à la date indiquée.
B.
Le 6 décembre 2021, A.________ a demandé la traduction de plusieurs pièces de procédure, en particulier les procès-verbaux des auditions des parties et l'acte d'accusation. La Juge pénale a, par ordonnance du 14 janvier 2022, refusé de traduire les éléments demandés, y compris l'acte d'accusation.
C.
Par décision du 16 mars 2022, la Chambre pénale des recours du Tribunal cantonal jurassien (ci-après: la Chambre pénale des recours ou la cour cantonale) a déclaré irrecevable le recours formé contre cette ordonnance du 14 janvier 2022.
D.
Agissant par la voie du recours en matière pénale, A.________ demande au Tribunal fédéral, sous suite de frais et dépens, d'annuler cette décision du 16 mars 2022, ainsi que d'ordonner la traduction de l'acte d'accusation, ainsi que des procès-verbaux d'audition de son épouse et de leurs fils, des 7 décembre 2018 et 10 septembre 2020, d'un autre prévenu du 10 septembre 2020 et de leur fille du 4 mars 2021. A titre subsidiaire, il conclut au renvoi de la cause à l'instance précédente pour nouvelle décision dans le sens des considérants.
La cour cantonale conclut au rejet du recours et à la confirmation de la décision attaquée. La Juge pénale renonce à se déterminer et renvoie, pour le surplus, aux motifs de sa décision du 14 janvier 2022.
 
1.
Le recours est dirigé contre une décision d'irrecevabilité prise en dernière instance cantonale (art. 80 al. 1 LTF) dans le cadre d'une procédure pénale. Le recours en matière pénale, au sens de l'art. 78 al. 1 LTF, est donc en principe ouvert.
Indépendamment de la nature de la décision, l'auteur d'un recours déclaré irrecevable en dernière instance cantonale a qualité, au sens de l'art. 81 LTF, pour contester ce prononcé. Lorsqu'un recours porte sur la question de l'existence même d'un recours cantonal, ce qui est le cas en l'espèce, le recours auprès du Tribunal fédéral est en principe recevable indépendamment de l'exigence d'un préjudice irréparable au sens de l'art. 93 al. 1 let. a LTF (ATF 143 I 344 consid. 1.2; arrêt 1B_485/2021 du 26 novembre 2021 consid. 1.2 et les références citées). Seule la question de la recevabilité du recours peut cependant être portée devant le Tribunal fédéral (cf. arrêt 1B_485/2021 du 26 novembre 2021 consid. 1.2 et les références citées), ce qui rend en l'occurrence irrecevables les conclusions prises par le recourant visant à ce que le Tribunal fédéral ordonne la traduction de l'acte d'accusation du 17 mai 2021 et de divers procès-verbaux d'audition; les arguments soulevés sur le fond de la cause sont dans cette mesure irrecevables.
Pour le surplus, le recours a été déposé en temps utile (art. 100 al. 1 LTF) contre une décision rendue par une autorité statuant en tant que dernière instance cantonale (art. 80 al. 1 LTF).
Partant, il y a lieu d'entrer en matière dans la mesure précitée.
2.
La Chambre pénale des recours n'est pas entrée en matière sur le recours interjeté par le recourant contre l'ordonnance de la Juge pénale refusant de traduire les éléments demandés, dont l'acte d'accusation, au motif que cette décision ne lui causait aucun préjudice irréparable.
Le recourant ne conteste pas, avec raison, que cette ordonnance est une décision relative à la conduite de la procédure prise avant les débats et qui ne peut faire l'objet d'un recours au sens de l'art. 393 al. 1 let. b CPP que si elle peut causer un préjudice irréparable (cf. ATF 143 IV 175 consid. 2.4; arrêts 1B_421/2019 du 2 décembre 2019 consid. 2; 1B_63/2018 du 13 mar s 2018 consid. 3; cf. BERNHARD STRÄULI, in Commentaire romand, Code de procédure pénale suisse, 2e éd. 2019, n° 28 ss ad art. 393 CPP). Cette notion est la même que celle qui prévaut en application de l'art. 93 al. 1 let. a LTF: il doit s'agir d'un préjudice de nature juridique qui ne puisse pas être réparé ultérieurement par un jugement final ou une autre décision favorable au recourant (cf. ATF 143 IV 175 consid. 2.3; arrêts 1B_362/2021 du 6 septembre 2021 consid. 3.1; 1B_63/2018 du 13 mars 2018 consid. 3).
2.1. Il convient dès lors d'examiner si c'est à juste titre que la Chambre pénale des recours a nié l'existence d'un préjudice irréparable.
En substance, la Chambre pénale des recours a retenu que les décisions portant sur le refus de traduire des procès-verbaux d'auditions, respectivement de changer la langue de la procédure, n'étaient en principe pas susceptibles de causer un préjudice irréparable (arrêt 1B_204/2021 du 16 juillet 2021 consid. 2 et la réf. citée; JEREMY BACHARACH, le recours contre les décisions du tribunal relatives à la marche de la procédure, in PJA 2018 p. 480 ss, 491). Elle a en particulier constaté que le recourant était assisté par un mandataire d'office depuis le début de la procédure, puis par un avocat privé, et qu'il ne prétendait pas que ces mandataires avaient été empêchés, respectivement ne seraient pas en mesure, de défendre efficacement ses intérêts. L'instance précédente a relevé que, au vu du nombre de procédures introduites par le recourant, notamment devant elle puis devant le Tribunal fédéral, il n'apparaissait pas que la traduction ( recte : l'absence de traduction écrite) de ces pièces avait empêché le recourant de défendre ses droits jusqu'à ce jour (CPR 2018/67, CPR 2019/35, CPR 2019/65 et arrêt 1B_90/2020 du Tribunal fédéral, CPR 2020/9, CPR 2020/28, CPR 2020/89 et arrêt 1B_77/2021, CPR 2021/26 et arrêt 1B_249/2021, CPR 2021/99). Enfin, l'instance précédente a ajouté qu'il était téméraire de la part du recourant de prétendre, à ce stade de la procédure soit devant la Juge pénale, qu'il était temps qu'il comprenne enfin ce qui lui était reproché et de solliciter notamment la traduction de procès-verbaux datant de 2018.
2.2. Le recourant conteste cette appréciation. Il affirme que, dans le cas d'espèce, l'absence de traduction est clairement de nature à lui causer un préjudice irréparable, de sorte que la cour cantonale aurait dû entrer en matière sur son recours cantonal. Il soutient qu'il ressort du dossier qu'il ne parle ni ne lit le français et qu'il n'est pas à même de comprendre l'acte d'accusation. Il précise qu'il a été assisté d'un interprète dans toutes les procédures auxquelles il est partie, et plus spécifiquement lors de toutes ses auditions dans la présente cause pénale. Il ajoute qu'il est évident que s'il n'est pas à même de comprendre ce qui lui est reproché, il ne saurait valablement se défendre. Il relève également qu'il n'y a pas de délai pour demander la traduction de pièces de procédure et qu'une traduction orale le jour de l'audience ne suffit pas.
2.3. Les arguments du recourant ne convainquent pas. En effet, selon la jurisprudence, le refus de traduire des actes de procédure et des pièces du dossier n'entraîne en principe pas de préjudice irréparable (cf. arrêts 1B_334/2021 du 7 avril 2022 consid. 2.5; 1B_204/2021 du 16 juillet 2021 consid. 2; 1B_421/2019 du 2 décembre 2019 consid. 3.3 et l'arrêt cité).
En l'occurrence, le recourant ne parvient pas à démontrer l'existence d'un préjudice irréparable. Il sied à cet égard de relever que le recourant est assisté par un avocat (Me B.________, puis Me Baume) depuis le début de la procédure pénale en 2018 et il ne prétend pas que son avocat actuel ne serait pas en mesure de défendre efficacement ses intérêts. Le recourant a de plus reconnu avoir toujours été assisté d'un interprète lors de ses auditions, en particulier devant le Ministère public; le recourant a donc été informé en langue allemande des faits qui lui étaient reprochés. La Juge pénale a en outre indiqué que ces faits seront repris lors de l'audience des débats à laquelle le recourant sera accompagné d'une traductrice. On ne voit dès lors pas dans quelle mesure le recourant, qui a été informé des accusations portées à son encontre lors de ses auditions, en présence d'un interprète, subirait un préjudice irréparable, auquel il ne pourra plus être remédié par une décision ultérieure. Le grief tiré du refus de traduire les documents sollicités, dont l'acte d'accusation, pourra être soulevé efficacement, le cas échéant, contre un éventuel jugement défavorable au recourant (cf. arrêt 1B_421/2019 du 2 décembre 2019 consid. 3.3).
Pour le surplus, il apparaît pour le moins douteux que le recourant ne possède pas de connaissances, à tout le moins passives, du français dès lors qu'il a, à deux reprises au moins, rédigé personnellement un mémoire de recours dans cette langue devant le Tribunal fédéral, en l'occurrence en janvier et février 2020 (causes 1B_90/2020 [mesures de substitution à la détention provisoire] et 5A_82/2020 [mesures protectrices de l'union conjugale]) et qu'il réside depuis plusieurs années à Develier, en territoire francophone.
Il sied enfin de relever que, par son argumentation, le recourant semble méconnaître qu'il n'existe pas de droit à la traduction intégrale des actes de procédure et qu'une traduction - qui peut se limiter aux passages essentiels pour la défense - peut également intervenir oralement (art. 68 al. 2 CPP; ATF 115 Ia 64 consid. 6c; cf. arrêt 6B_936/2019 du 20 mai 2020 consid. 8.4.1; cf. également MAHON/JEANNERAT, in Commentaire romand, Code de procédure pénale suisse, 2e éd. 2019, n° 18 ad art. 68 CPP; MOREILLON/PAREIN REYMOND, Petit commentaire CPP, 2e éd. 2016, n° 23 ad art. 68 CPP).
2.4. Dans ces conditions, la cour cantonale n'a pas violé le droit fédéral en refusant d'entrer en matière sur le recours interjeté par le recourant à l'encontre de l'ordonnance de la Juge pénale refusant la traduction des documents sollicités; elle pouvait retenir que cette décision n'exposait pas le recourant à un préjudice irréparable.
Enfin, contrairement à ce qu'affirme le recourant, l'instance précédente n'a pas ignoré qu'il avait également demandé la traduction de l'acte d'accusation: cela ressort en effet explicitement des considérants de la décision du 16 mars 2022. L'argumentation développée par la cour cantonale en lien avec le préjudice irréparable, ne vise donc pas seulement la traduction des procès-verbaux d'auditions, mais également celle de l'acte d'accusation. Le grief de violation du droit d'être entendu soulevé par le recourant doit ainsi être rejeté.
3.
Le recours doit par conséquent être rejeté, aux frais du recourant qui succombe (art. 65 et 66 al. 1 LTF).
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
 
1.
 
Le recours est rejeté.
 
2.
 
Les frais judiciaires, arrêtés à 2'000 fr., sont mis à la charge du recourant.
 
3.
 
Le présent arrêt est communiqué au recourant, au Juge pénal du Tribunal de première instance de la République et canton du Jura et à la Chambre pénale des recours du Tribunal cantonal de la République et canton du Jura.
 
Lausanne, le 19 mai 2022
 
Au nom de la Ire Cour de droit public
 
du Tribunal fédéral suisse
 
Le Président : Kneubühler
 
La Greffière : Arn