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BGer 1B_659/2021 vom 23.05.2022
 
Tribunal fédéral
 
Tribunale federale
 
Tribunal federal
 
[img]
 
 
1B_659/2021
 
 
Arrêt du 23 mai 2022
 
 
Ire Cour de droit public
 
Composition
 
MM. et Mme les Juges fédéraux Kneubühler, Président,
 
Chaix et Jametti.
 
Greffière : Mme Arn.
 
 
Participants à la procédure
 
A.________, représenté par Mes Vincent Mignon et Sarah El Khalifa,
 
recourant,
 
contre
 
B.________, c/o C.________ SA,
 
intimé,
 
Ministère public du canton de Berne,
 
Région Jura bernois-Seeland, rue du Château 13, 2740 Moutier.
 
Objet
 
Procédure pénale; récusation d'expert,
 
recours contre la décision de la Cour suprême
 
du canton de Berne, Chambre de recours pénale,
 
du 4 novembre 2021 (BK 21 135).
 
 
Faits :
 
 
A.
 
A.a. Une instruction pénale a été ouverte le 16 mai 2017 pour homicide par négligence, à la suite du décès la veille de D.________ et E.________ dans le port Jean-Jacques Rousseau à La Neuville; des négligences dans l'installation électrique des prises du port auraient pu jouer un rôle ou entraîner la mort des deux victimes. L'instruction a été étendue, notamment à l'encontre de A.________ le 3 avril 2019.
A.b. Le 1
A.c. Par courriel du 17 mars 2021 à 7h49, les défenseurs de A.________ ont formé une demande de récusation à l'encontre de l'expert.
Le jour même, le Ministère public a effectué une visite des lieux et procédé à l'audition de l'expert, en présence des parties.
A.d. Par courrier du 23 mars 2021, les défenseurs de A.________ ont déposé une demande de récusation auprès de la Chambre de recours pénale de la Cour suprême du canton de Berne (ci-après: la cour cantonale) à l'encontre de l'expert aux motifs que celui-ci avait une opinion préconçue et que son attitude dénotait un manque de sérieux et une agressivité envers les parties; il se fondait en particulier sur le contenu du courriel de l'expert du 16 mars 2021. Le Ministère public et l'expert ont chacun déposé leur prise de position au sujet de la demande de récusation.
B.
Par décision du 4 novembre 2021, la cour cantonale a rejeté la demande de récusation dirigée à l'encontre de l'expert.
C.
Par acte du 8 décembre 2021, A.________ forme un recours en matière pénale au Tribunal fédéral contre cet arrêt du 4 novembre 2021, concluant à son annulation et à sa réforme, ainsi qu'à la récusation de l'expert B.________ et partant à l'annulation de tous les actes d'expertise effectués par cet expert, à savoir le rapport d'expertise du 8 novembre 2018, son complément du 12 décembre 2019, les réponses écrites contenues dans le document du 16 mars 2021, tout autre document d'expertise rédigé par cet expert ou F.________ et toute autre déclaration de ces derniers. Le recourant conclut à ce qu'une nouvelle expertise soit réalisée. Subsidiairement, il conclut au renvoi de l'affaire à l'instance précédente pour nouvelle décision dans le sens des considérants.
Invités à se déterminer, la cour cantonale et le Ministère public renoncent à déposer une réponse. Les parents de la victime E.________ déposent des observations spontanées. L'expert intimé formule ses déterminations.
 
1.
Selon les art. 78, 80 al. 2 in fine et 92 al. 1 LTF, une décision prise en instance cantonale unique relative à la récusation d'experts peut faire immédiatement l'objet d'un recours en matière pénale nonobstant son caractère incident (ATF 144 IV 90 consid. 1). Le recourant, prévenu dont la demande de récusation a été rejetée, a qualité pour recourir en vertu de l'art. 81 al. 1 LTF. Les conclusions prises sont recevables au sens de l'art. 107 al. 2 LTF et le recours a été déposé en temps utile (art. 100 al. 1 LTF). Il y a donc lieu d'entrer en matière.
2.
Le recourant se plaint d'une violation des art. 183 al. 3 et 56 let. f CPP. En se fondant sur le document du 16 mars 2021 de l'expert, le recourant affirme que celui-ci aurait méconnu sa mission, en considérant que son rôle était de "démontrer que les différents intervenants ont failli dans leur tâche", ce qui susciterait un doute fondé sur l'impartialité de cet expert. Ensuite, il soutient que le manque de sérieux porté à la rédaction du document du 16 mars 2021 constituerait une circonstance objective démontrant le peu d'importance que l'expert accorderait aux droits de la défense. Il ajoute que plusieurs exemples figurant dans cet écrit illustreraient l'agacement, l'agressivité et l'hostilité de l'expert à l'égard des parties. Dans ce contexte, le recourant demande que l'état de fait soit complété et que les exemples donnés dans sa demande de récusation, qu'il reproduit dans son mémoire de recours et qui auraient été ignorés par la cour cantonale, soient pris en compte. L'arrêt attaqué n'expose certes pas l'intégralité du contenu de la demande de récusation du recourant et, partant, des exemples cités. Conformément à l'art. 105 al. 2 LTF, le Tribunal fédéral en tiendra compte pour autant qu'ils soient pertinents pour l'issue du litige.
2.1. L'art. 56 let. f CPP - applicable aux experts en vertu du renvoi de l'art. 183 al. 3 CPP - prévoit que toute personne exerçant une fonction au sein d'une autorité pénale est récusable "lorsque d'autres motifs, notamment un rapport d'amitié étroit ou d'inimitié avec une partie ou son conseil, sont de nature à le rendre suspect de prévention". Cette disposition a la portée d'une clause générale recouvrant tous les motifs de récusation non expressément prévus aux lettres précédentes de l'art. 56 CPP (ATF 143 IV 69 consid. 3.2). Elle concrétise les droits déduits de l'art. 29 al. 1 Cst. garantissant l'équité du procès et assure au justiciable une protection équivalente à celle de l'art. 30 al. 1 Cst. s'agissant des exigences d'impartialité et d'indépendance requises d'un expert (ATF 141 IV 178 consid. 3.2.2). Les parties à une procédure ont donc le droit d'exiger la récusation d'un expert dont la situation ou le comportement sont de nature à faire naître un doute sur son impartialité. Cette garantie tend notamment à éviter que des circonstances extérieures à la cause puissent influencer une appréciation en faveur ou au détriment d'une partie. Elle n'impose pas la récusation seulement lorsqu'une prévention effective de l'expert est établie, car une disposition interne de sa part ne peut guère être prouvée. Il suffit que les circonstances donnent l'apparence de la prévention et fassent redouter une activité partiale de sa part. Seules les circonstances constatées objectivement doivent être prises en considération. Les impressions purement individuelles d'une des parties au procès ne sont pas décisives (ATF 143 IV 69 consid. 3.2; arrêts 1B_338/2021 du 23 novembre 2021 consid. 2.1; 1B_647/2020 du 20 mai 2021 consid. 3.1).
2.2. Dans sa décision, l'instance précédente a tout d'abord rappelé qu'il existait un premier rapport d'expertise établi par l'Inspection fédérale des installations à courant fort (ESTI) le 25 août 2017. Quant à l'expert intimé, désigné le 1er juin 2018 pour une seconde expertise, il a rendu son rapport le 13 novembre 2018 (expertise du 8 novembre 2018), puis a répondu aux questions complémentaires des parties dans un document rendu le 12 septembre 2019. Enfin, le 16 mars 2021, l'expert intimé a fait parvenir ses réponses à de nouvelles questions en vue de la descente sur les lieux du drame appointée au lendemain, le 17 mars 2021. L'instance précédente a en substance considéré que ni la forme ni le contenu de ce document du 16 mars 2021 rédigé par l'expert - présentant lesdites réponses complémentaires - ne permettait de conclure à une apparence de partialité de celui-ci. La cour cantonale a entre autres précisé que les réponses de l'expert intimé s'inscrivaient clairement dans le cadre du mandat qui lui était confié et tel que ce dernier l'avait parfaitement compris. Elle relevait que la différence de point de vue entre l'expert et le prévenu devait être examinée dans la procédure au fond. Quant aux critiques sur la forme du document du 16 mars 2021, elles étaient faibles et manquaient de manière flagrante de pertinence. Par ailleurs, la cour cantonale ne décelait aucun revirement totalement infondé et injustifié, voire soudain, dans les déclarations ou conclusions de l'expert au point de douter de l'objectivité de celui-ci. Pour l'instance précédente, les affirmations de l'expert ne permettaient pas de douter de son impartialité. Selon la cour cantonale, il semblerait plutôt que le recourant contestait la méthodologie employée et le résultat des conclusions de l'expert.
2.3. Le recourant conteste l'appréciation de l'instance précédente. Il persiste à soutenir que l'expert aurait mal compris son mandat d'expertise et qu'il en découlerait une apparence de prévention. Il se prévaut en particulier d'un passage de l'écriture du 16 mars 2021 de l'expert dans lequel celui-ci indique que "dans mon expertise, il ne s'agit pas de démontrer que la chute de tension est dangereuse ou non pour les personnes, il s'agit de relever tous les points «oublier»
De manière générale, on relèvera que le fait que l'expert formule, dans son rapport, des conclusions défavorables à l'une des parties ne constitue pas un motif de récusation (ATF 132 V 93 consid. 7.2.2; arrêt 1B_123/2013 du 26 avril 2013 consid. 3.2).
2.4. Le recourant voit aussi un signe de prévention dans le manque de sérieux porté par l'expert non seulement dans la rédaction du document du 16 mars 2021, mais également dans sa manière de répondre, ou de refuser de répondre, aux questions complémentaires. Il invoque les passages suivants figurant dans le document de l'expert daté du 16 mars 2021: "Je vous suggère de relire l'exemple en dessous du tableau en haut de la page 31 ainsi que les légendes du graphique haut de page 32" ou encore "Il n'y a pas de contrôle électrique car ce n'est pas une installation électrique. Ensuite, si je vais dans la rue sur un trottoir et que j'installe une échelle pour que mon chat grimpe à la fenêtre de mon appartement! Ai-je le droit? me dira-t-on quelque chose? Répondre à ces questions c'est répondre aux vôtres". Ces propos illustreraient, selon le recourant, l'agressivité et l'hostilité de l'expert à l'égard des prévenus. Le recourant se plaint encore du ton catégorique et agressif de l'expert notamment lorsqu'il évoque la question de l'application des règles relatives aux marinas.
Le recourant ne peut être suivi. Certes, la forme du document du 16 mars 2021 manque d'uniformité et les copiés-collés, l'usage de plusieurs polices et tailles d'écritures, le choix des couleurs et les divers surlignages ne permettent pas une lecture fluide de son contenu. Toutefois, comme l'a relevé l'instance précédente, on ne saurait en déduire la marque d'une prévention objectivement fondée à l'égard du recourant. L'expert a, à cet égard, précisé que ce document du 16 mars 2021 ne constituait que le premier jet d'un document de travail établi dans le seul but de faciliter la rencontre des parties sur les lieux le lendemain, soit le 17 mars 2021. L'instance précédente pouvait dans ces circonstances sans arbitraire considérer que les explications de l'expert à ce sujet paraissaient plausibles. Ce dernier a ainsi exposé qu'il avait intégré les questions des avocats par voie informatique à son document, via une reconnaissance de caractères, afin d'éviter de faire des renvois à divers documents car on lui avait reproché précédemment d'abuser de ces renvois qui rendaient difficilement compréhensibles ses réponses. Dans ces conditions, le manque d'uniformité de l'écrit du 16 mars 2021 et l'extrait incompréhensible - dont se prévaut le recourant - dénotent certes une carence de l'expert dans la mise en forme de ce document, mais ne constituent pas un signe d'hostilité à l'égard des prévenus. Cette critique est d'autant moins fondée que l'extrait litigieux est une retranscription d'une question écrite de l'avocat d'un des prévenus à l'expert intimé et que la teneur de cette question était connue des avocats du recourant.
Par ailleurs, certaines remarques contenues dans ce document du 16 mars 2021 reflètent peut-être un certain agacement de l'expert, qui a déclaré avoir eu l'impression qu'on lui posait toujours les mêmes questions. De tels commentaires peuvent néanmoins encore être tolérés in casu de la part d'un expert dans le domaine de l'électricité. Un technicien électrique n'est en effet pas un acteur régulier des tribunaux; il n'est pas habitué aux confrontations avec des juristes et n'est pas pleinement en mesure d'apprécier toute la portée, en particulier juridique, de ses déclarations d'ordre avant tout technique. Les propos critiqués par le recourant ne matérialisent ainsi pas encore une prévention avérée à l'encontre des prévenus. Les propos critiqués par le recourant peuvent, dans l'ensemble, encore être considérés comme objectivement proportionnés (cf. arrêt 1B_123/2013 du 26 avril 2013 consid. 3.3 et 3.4); ces propos ne permettent en particulier pas de considérer que le rapport établi par l'expert intimé en novembre 2018 n'est pas neutre et objectif. Quant au fait que l'expert a souligné certains passages dans ledit document du 16 mars 2021, il ne peut être interprété comme l'expression d'une hostilité envers le recourant. Par ailleurs, contrairement à ce que soutient le recourant et comme relevé par l'instance précédente, l'expert cite dans le document litigieux les dispositions qu'il estime applicables; il se réfère ainsi notamment à la norme sur l'installation électrique à basse tension (NIBT), mais également à l'ordonnance sur les installations électriques à courant fort.
Enfin, on rappellera, avec l'instance précédente, qu'il appartient au juge du fond d'apprécier la valeur probante de l'expertise et que celui-ci n'est pas lié par les conclusions de l'expert. Il incombe en particulier au juge, et non à l'expert, de résoudre les questions juridiques qui se posent dans le complexe de faits faisant l'objet de l'expertise (cf. ATF 142 IV 49 consid. 2.1.3; 138 III 193 consid. 4.3; arrêt 1B_163/2020 du 20 juillet 2020 consid. 2.4). Ainsi, les soi-disant contradictions de l'expert et la question - discutée entre les parties - de savoir si une protection supplémentaire de l'installation, par exemple par un DDR, était nécessaire doivent être examinées dans le cadre de la procédure au fond et non pas dans le cadre de la procédure de récusation.
2.5. En définitive, aucun des motifs avancés par le recourant, pris séparément ou dans leur ensemble, ne permet d'admettre l'existence de circonstances exceptionnelles justifiant une récusation de l'expert intimé dans la présente cause. Partant, la Chambre de recours pénale n'a pas violé le droit fédéral en rejetant la requête de récusation déposée par le recourant.
3.
Il s'ensuit que le recours est rejeté. Le recourant qui succombe supporte les frais de la présente procédure (art. 66 al. 1 LTF).
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
 
1.
 
Le recours est rejeté.
 
2.
 
Les frais judiciaires, arrêtés à 2'000 fr., sont mis à la charge du recourant.
 
3.
 
Le présent arrêt est communiqué aux parties, au Ministère public du canton de Berne, Région Jura bernois-Seeland, et à la Cour suprême du canton de Berne, Chambre de recours pénale.
 
Lausanne, le 23 mai 2022
 
Au nom de la Ire Cour de droit public
 
du Tribunal fédéral suisse
 
Le Président : Kneubühler
 
La Greffière : Arn