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BGer 1C_223/2021 vom 21.06.2022
 
Tribunal fédéral
 
Tribunale federale
 
Tribunal federal
 
[img]
 
 
1C_223/2021
 
 
Arrêt du 21 juin 2022
 
 
Ire Cour de droit public
 
Composition
 
MM. les Juges fédéraux
 
Kneubühler, Président, Chaix et Müller.
 
Greffière : Mme Sidi-Ali.
 
 
Participants à la procédure
 
A.________ SA,
 
représentée par Me Pierre-Xavier Luciani, avocat,
 
recourante,
 
contre
 
Direction générale de l'environnement du canton de Vaud,
 
Unité droit et études d'impact,
 
avenue de Valmont 30b, 1014 Lausanne,
 
Fondation B.________,
 
Objet
 
Frais de dépollution,
 
recours contre l'arrêt du Tribunal cantonal du canton de Vaud, Cour de droit administratif et public, du 11 mars 2021 (AC.2020.0318).
 
 
Faits :
 
A.
En octobre 2019, l'Office cantonal vaudois de la consommation, section qualité et distribution de l'eau, a procédé à un contrôle sanitaire de l'EMS C.________, à Montreux, qui est administré par la Fondation B.________. Ce contrôle a révélé la présence de bactéries legionnella dans l'eau courante à un taux non conforme aux prescriptions sanitaires. L'Office de la consommation a constaté ce dépassement dans une décision du 14 novembre 2019; il a exigé une mise en conformité et il a conseillé à la direction de l'EMS de faire intervenir la société A.________ SA pour effectuer un traitement désinfectant des conduites d'eau du bâtiment. La Fondation B.________ a alors conclu un contrat avec cette entreprise, dont l'équipe a commencé son intervention le lundi 9 décembre 2019. Un incident s'est produit le jeudi 12 décembre 2019: alors que l'équipe de A.________ SA injectait dans les canalisations d'eau chaude une solution nettoyante à base d'acide chlorhydrique à 32 %, une fuite est survenue dans le local technique et le liquide de traitement s'est répandu sur le tableau électrique. Vu la toxicité du produit, les pompiers sont intervenus pour la décontamination du site.
B.
Par décision du 2 octobre 2020, la Direction générale de l'environnement du canton de Vaud (DGE) a mis à la charge de A.________ SA les frais relatifs à l'intervention du 12 décembre 2019 pour un montant de 8'829 fr., soit le 90 % de la facture totale qui s'élevait à 9810 fr. 60, le solde ayant été mis à la charge de la Fondation B.________.
Statuant sur recours de A.________ SA, la Cour de droit administratif et public du Tribunal cantonal vaudois (CDAP) a confirmé cette décision par arrêt du 11 mars 2021. Elle a en substance considéré que A.________ SA, en tant que perturbateur par comportement, intervenait dans un rapport de causalité immédiate dans l'incident, de sorte que la clé de répartition des frais arrêtée par la DGE pouvait être confirmée.
C.
Agissant par la voie du recours en matière de droit public, A.________ SA demande au Tribunal fédéral d'annuler l'arrêt cantonal et de la libérer de tous frais en relation avec l'intervention due à une pollution chimique le 12 décembre 2019. Subsidiairement, elle conclut à l'annulation de l'arrêt attaqué et au renvoi de la cause à "l'autorité intimée" pour revoir la répartition des frais mis à sa charge.
La cour cantonale et la DGE renoncent à se déterminer sur le recours. L'intimée la Fondation B.________ se détermine et conclut au rejet du recours. Consultés, l'Office fédéral de la santé publique (OFSP) et l'Office fédéral de l'environnement ne remettent pas en cause la solution retenue dans l'arrêt attaqué. Les parties se déterminent dans un nouvel échange d'écriture au pied desquelles elles confirment leurs conclusions respectives.
Par ordonnance du 17 mai 2021, le Président de la Ire Cour de droit public a admis la requête d'effet suspensif présentée par la recourante.
 
1.
Dirigé contre une décision finale (art. 90 LTF) prise en dernière instance cantonale (art. 86 al. 1 let. d LTF) dans une cause relevant du droit de la protection de l'environnement (art. 82 let. a LTF), le recours est en principe recevable comme recours en matière de droit public, aucune des exceptions prévues à l'art. 83 LTF n'étant réalisée. La recourante a pris part à la procédure devant l'instance cantonale; elle est particulièrement atteinte par l'arrêt attaqué et a un intérêt digne de protection à sa modification, celui-ci mettant à sa charge la majeure partie des frais afférents à l'incident survenu le 12 décembre 2019. Elle a ainsi qualité pour recourir au sens de l'art. 89 al. 1 LTF.
Les autres conditions de recevabilité sont réunies, si bien qu'il y a lieu d'entrer en matière sur le recours.
2.
La recourante se plaint d'une appréciation erronée des moyens de preuve par la violation des art. 9 Cst. en relation avec les art. 32 de la loi vaudoise du 28 octobre 2008 sur la procédure administrative (LPA-VD; RSV 173.36) et 157 CPC (RS 272). Elle expose que la cour cantonale n'aurait pas suffisamment pris en compte les recommandations de l'OFSP sur les légionnelles et légionelloses qui prescriraient notamment que les établissements de soin devraient faire un autocontrôle de l'eau une fois par année.
La recourante n'expose pas la règle légale de l'art. 32 LPA-VD dont on peut présumer, vu le grief de violation de l'art. 157 CPC relatif à la libre appréciation des preuves, qu'il s'agit d'un renvoi aux règles de procédure civile. De ce point de vue, il est douteux que le recours remplisse les exigences de motivation prévues aux art. 42 al. 2 et 106 al. 2 LTF. Quoi qu'il en soit, il n'y a rien à déduire des recommandations auxquelles se réfère la recourante.
Il est en effet vain de vouloir démontrer en quoi l'EMS aurait dû mieux entretenir ses canalisations. La responsabilité de l'état des canalisations a été prise en considération. Il n'est en effet pas exclu que, comme le fait valoir la recourante, "le remplacement de vieux tuyaux encrassés par des matières organiques en décomposition aurait permis d'éviter la contamination d'octobre 2019". Cette question n'est toutefois pas décisive puisqu'il s'agit en l'espèce non pas de déterminer ce qui a causé la contamination qui a suscité l'intervention de la recourante, mais bien de déterminer les causes immédiates de la rupture de la canalisation qui a suscité l'intervention des pompiers, dont la prise en charge des coûts est litigieuse. Au demeurant, la contamination a précisément été constatée à l'issue d'un contrôle, de sorte qu'il apparaît plutôt que le contrôle périodique de l'eau était effectué, le simple renvoi aux recommandations de l'OFSP n'étant d'aucune aide dans la démonstration d'une éventuelle lacune dans les contrôles. Enfin, ces recommandations prévoient expressément, que "tant que l'hygiène de l'eau est irréprochable, la poursuite de l'exploitation [d'installations sanitaires en technique du bâtiment qui ne sont pas conçues selon les normes et directives récentes ou qui, sur d'autres points, diffèrent de l'état de la technique] ne pose pas de problème lors d'une fréquence appropriée de mesures de contrôle de legionella spp". On ne voit donc pas en quoi on pourrait reprocher à l'intimée de ne pas avoir fait changer les canalisations du bâtiment avant la survenue de cette contamination bactérienne.
Supposé recevable, le grief doit être rejeté.
3. La recourante fait valoir une violation des art. 3aet 54 LEaux (RS 814.20) ainsi que 2 et 32d LPE (RS 814.01). Elle soutient que l'intimée n'était pas uniquement perturbatrice par situation, mais également perturbatrice par comportement, faute d'avoir entretenu, voire remplacé, les canalisations corrodées, bouchées et particulièrement anciennes.
3.1. L'art. 3a LEaux prévoit que celui qui est à l'origine d'une mesure prescrite par cette loi en supporte les frais. Selon l'art. 54, les coûts résultant des mesures prises par l'autorité pour prévenir un danger imminent pour les eaux, pour établir un constat et pour réparer les dommages sont à la charge de celui qui a provoqué ces interventions. Ces dispositions correspondent au principe de causalité de l'art. 2 LPE formulé de façon identique à l'art. 3a LEaux.
Pour circonscrire la notion de personne qui a provoqué les interventions de prévention, de constatation et de réparation d'un dommage aux eaux, il faut se référer à la notion de perturbateur du droit de police (arrêt 1C_43/2007 du 9 avril 2008 consid. 4.2 non publié in ATF 134 II 142 consid. 4.2, in DEP 2008 p. 576). Doit être considérée comme un perturbateur la personne qui crée un dommage ou un danger en raison de ses propres actes ou omissions ou de ceux d'un tiers placé sous sa responsabilité - perturbateur par comportement -, mais aussi la personne qui dispose de la maîtrise effective ou juridique de la chose ayant provoqué la situation contraire à l'ordre public - perturbateur par situation - (ATF 144 II 332 consid. 3.1; 139 II 106 consid. 3.1.1; 131 II 743 consid. 3.1).
Il ne suffit cependant pas, pour que le perturbateur soit appelé au remboursement des frais occasionnés par des mesures de sécurité ou d'assainissement, que sa situation ou son comportement soit en relation de causalité naturelle avec la menace ou l'atteinte qui a nécessité ces mesures; il faut en outre que le lien de causalité soit immédiat, c'est-à-dire que la cause elle-même ait franchi les limites de la mise en danger (arrêts 1A.250/2005 du 14 décembre 2006 consid. 5.3; 1A.366/1999 du 27 septembre 2000 consid. 2c, in ZBl 102/2001 p. 547). Le perturbateur par comportement est donc celui qui a causé directement le danger ou l'atteinte; pour qu'il y ait perturbateur par situation, il faut que la chose elle-même ait constitué directement la source de ce danger ou de cette atteinte (ATF 119 Ib 492 consid. 4b/dd; 118 Ib 407 consid. 4c). La désignation des perturbateurs est indépendante d'un comportement illégal, d'une faute ou d'une omission; ces éléments jouent un rôle uniquement dans la répartition des frais d'assainissement entre les différents responsables (arrêt 1A.250/2005 du 14 décembre 2006 consid. 5.3).
L'existence d'un lien de causalité est une question de fait que le juge ou l'autorité doit trancher en se conformant à la règle du degré de vraisemblance prépondérante; cette règle s'applique dans tous les cas où une preuve matérielle directe et absolue ne peut être rapportée en raison de la nature de la chose (ATF 144 II 332 consid. 4.1.2; 132 III 715 consid. 3.2; 130 III 321 consid. 3.3). Le Tribunal fédéral s'y réfère également en matière de prise en charge des coûts d'intervention à la suite d'une pollution des eaux (arrêts 1A.250/2005 du 14 décembre 2006 consid. 5.3; 1A.145/1993 du 15 juin 1994 consid. 4d résumé in DEP 1994 p. 504).
3.2. Il est vrai que, selon les faits qui ressortent de l'arrêt attaqué, il apparaît que c'est le cumul de la vétusté des canalisations d'une part et de l'injection d'acide chlorhydrique d'autre part qui a généré l'accident. L'injection de ce produit ne pose apparemment pas problème dans des canalisations en parfait état mais à l'inverse, comme l'ont retenu les autorités cantonales, les canalisations n'auraient vraisemblablement pas cédé sans l'introduction du produit corrosif. Il y a ainsi lieu d'examiner qui encourt la responsabilité de l'introduction d'un tel produit dans des canalisations d'un tel état de vétusté.
La recourante a été mandatée pour intervenir en raison d'un dépassement du taux des bactéries legionella dans l'eau circulant dans les canalisations. Selon ce que fait valoir la recourante, il est probable qu'une telle contamination n'aurait pas eu lieu avec des canalisations en meilleur état. La recourante a constaté que ces canalisations étaient bouchées. Elle expose que les dépôts qui obstruaient ces canalisations représentent l'environnement idéal pour le développement des bactéries. Ses employés devaient donc se douter du mauvais état des canalisations ou, à tout le moins, s'en enquérir. Il est ensuite constant que l'injection de l'acide chlorhydrique avait pour but de déboucher les canalisations, non de traiter la contamination bactérienne. La tâche de la recourante, à ce stade, était donc précisément de s'occuper d'une tuyauterie obstruée, situation dont elle devait évaluer les causes possibles, dont faisaient partie l'état vétuste des canalisations. En particulier, vu l'âge du bâtiment et le fait qu'ils intervenaient pour la première fois sur ce site, il appartenait aux employés de la recourante de s'informer sur l'état, l'ancienneté et l'entretien des canalisations. Cela n'a pas été fait et la recourante tente en vain de renverser cette responsabilité en l'imputant à l'intimée, qui n'a pas spontanément fourni ce genre d'informations. Or, dans un tel rapport contractuel, où la recourante est l'entreprise spécialisée mandatée, il n'est pas critiquable de retenir que la prise de connaissance des circonstances propres à l'état des canalisations incombait à celle-ci. Elle seule connaît les risques de l'introduction d'acide chlorhydrique dans les canalisations. Elle a au demeurant fait valoir devant la cour cantonale que, si elle avait eu connaissance de l'état des conduites de l'EMS avant d'injecter la solution chimique, elle ne serait pas intervenue de la même manière et aurait privilégié une solution plus douce et adaptée. Elle est donc familière avec - ou à tout le moins n'est pas étrangère à - la possibilité de se trouver confrontée à des canalisations déjà corrodées lors d'une intervention, et un autre traitement était possible. En conséquence, c'est du fait de son comportement à elle, et non de celui de l'intimée, qu'elle a méconnu l'état possible des canalisations lorsqu'elle y a injecté une solution non adaptée.
Le défaut d'entretien des canalisations par l'intimée est au surplus allégué de façon appellatoire par la recourante qui se contente de se référer aux recommandations de l'OFSP en la matière sans démontrer la réalité d'un tel manquement. Cet élément n'est au demeurant pas décisif dans les circonstances susmentionnées, puisque le comportement immédiat qui a donné lieu à l'incident est bien l'injection du produit - certes dans une tuyauterie en mauvais état, mais non défectueuse. Est ainsi seule décisive la question de savoir qui devait se préoccuper de l'état des canalisations pour évaluer le traitement adéquat - ce qui, comme on l'a vu, était de la responsabilité de la recourante - et non qui est responsable du mauvais état de ces canalisations.
Il s'ensuit que c'est sans violation du droit fédéral que les autorités cantonales ont jugé que l'intimée n'était pas perturbatrice par comportement.
4.
La recourante considère en outre que, même en retenant uniquement la qualification de perturbateur par situation pour l'intimée, la proportion de 10 % de frais mise à la charge de celle-ci est insuffisante et viole les art. 32d LPE et 54 LEaux.
4.1. En cas de pluralité de perturbateurs, la répartition des frais est ordonnée en tenant compte de toutes les circonstances objectives et subjectives, par une application analogique des principes généraux énoncés à l'art. 51 CO. L'art. 32d LPE a consacré cette jurisprudence, pour les coûts afférents aux sites pollués (ATF 131 II 743 consid. 3.1; arrêt 1A.250/2005 du 14 décembre 2006 consid. 6.1). L'art. 32d al. 1 LPE prévoit que celui qui est à l'origine des mesures nécessaires à l'assainissement d'un site pollué assume les frais d'investigation, de surveillance et d'assainissement. Si plusieurs personnes sont impliquées, elles assument les frais de l'assainissement proportionnellement à leur part de responsabilité; assume en premier lieu les frais celle qui a rendu nécessaires les mesures par son comportement; celle qui n'est impliquée qu'en tant que détenteur du site n'assume pas de frais si, même en appliquant le devoir de diligence, elle n'a pas pu avoir connaissance de la pollution (art. 32d al. 2 LPE). En tous les cas, le perturbateur par situation qui n'a commis aucune faute ne peut se voir mettre à sa charge que la plus petite partie des frais d'assainissement (arrêt 1A.250/2005 du 14 décembre 2006 consid. 6.1; KARIN SCHERRER, Handlungs- und Kostentragungspflichten bei der Altlastensanierung, 2005, p. 92).
4.2. S'il est douteux qu'il puisse y avoir une violation de l'art. 32d LPE, qui régit les frais d'assainissements de sites pollués, ainsi qu'on l'a vu, le domaine de la protection des eaux recourt aux mêmes concepts de perturbateurs et sont fondés sur la même règle du principe dit de causalité. Il y a donc lieu de s'inspirer de telles règles en matière de répartition des frais au sens de l'art. 54 LEaux.
La cour cantonale a retenu que la répartition des frais à 90 et 10 % entre la perturbatrice par comportement et la perturbatrice par situation respectait le droit fédéral, la DGE disposant d'un large pouvoir d'appréciation dans cette répartition. Elle s'est référée à la pratique qui retient une prise en charge de l'ordre de 10 à 30 % des frais pour le perturbateur par situation et a constaté qu'aucune circonstance particulière ne justifiait d'augmenter les frais à charge de la détentrice des installations.
Cette appréciation doit être confirmée. Ainsi qu'on l'a vu, la recourante a échoué à établir que l'intimée aurait manqué de respecter les recommandations de l'OFSP en matière d'entretien des canalisations. Certes, il apparaît que celles-ci étaient particulièrement vétustes, mais c'est précisément la raison pour laquelle la détentrice doit supporter une part des frais et non en être totalement exonérée comme le permettrait l'art. 32d al. 2 LPE. Cette répartition doit par conséquent être confirmée.
5.
Il résulte de ce qui précède que le recours doit être rejeté et l'arrêt attaqué confirmé. La recourante, qui succombe, supportera les frais de justice (art. 66 al. 1 LTF). L'intimée n'ayant pas fait appel aux services d'un mandataire professionnel, il n'y a pas lieu d'allouer de dépens (art. 68 al. 1 LTF).
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
 
1.
 
Le recours est rejeté.
 
2.
 
Les frais judiciaires, arrêtés à 4'000 fr., sont mis à la charge de la recourante.
 
3.
 
Le présent arrêt est communiqué au mandataire de la recourante, à la Direction générale de l'environnement du canton de Vaud, à la Fondation B.________, au Tribunal cantonal du canton de Vaud, Cour de droit administratif et public, à l'Office fédéral de l'environnement et à l'Office fédéral de la santé publique.
 
Lausanne, le 21 juin 2022
 
Au nom de la Ire Cour de droit public
 
du Tribunal fédéral suisse
 
Le Président : Kneubühler
 
La Greffière : Sidi-Ali