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BGer 1B_228/2022 vom 20.05.2022
 
Tribunal fédéral
 
Tribunale federale
 
Tribunal federal
 
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1B_228/2022
 
 
Arrêt du 20 mai 2022
 
 
Ire Cour de droit public
 
Composition
 
MM. les Juges fédéraux Kneubühler, Président,
 
Chaix et Haag.
 
Greffier : M. Kurz.
 
 
Participants à la procédure
 
A.________, représenté par Me Olivier Bigler-de Mooij, avocat,
 
recourant,
 
contre
 
Ministère public de la République et canton de Neuchâtel, passage de la Bonne-Fontaine 41, 2300 La Chaux-de-Fonds.
 
Objet
 
Détention pour des motifs de sûreté,
 
recours contre l'arrêt du Tribunal cantonal de la République et canton de Neuchâtel, Autorité de recours en matière pénale, du 4 avril 2022 (ARMP.2022.19/sk).
 
 
Faits :
 
A.
Par jugement du 21 mars 2022, le Tribunal criminel des Montagnes et du Val-de-Ruz a condamné A.________ (ressortissant bosniaque né en 1989) à une peine privative de liberté de 44 mois pour menaces, tentative de contrainte sexuelle, viol et lésions corporelles simples sur la personne de B.________ (son amie jusqu'en juillet 2020), menaces sur la personne de C.________ (son amie jusqu'en 2015 et mère de leur fille commune née en 2015) et infractions à la LStup et à la LCR. Le Tribunal a également ordonné l'expulsion de Suisse pour cinq ans ainsi que la mise en détention pour des motifs de sûreté pour une durée de trois mois. A.________ faisait déjà l'objet de quatre condamnations en 2013 (brigandage, contrainte, violation de la LStup) et 2019 (infractions à la LCR; contrainte et violation de la LStup; violation grave de la LCR et consommation de stupéfiants).
Dans sa décision relative à la détention notifiée séparément le même jour, le Tribunal a considéré que l'expertise psychiatrique du 13 novembre 2020 faisait état d'un risque de récidive élevé s'agissant de violences conjugales. La détention se justifiait aussi au regard de la mesure d'expulsion.
B.
Par arrêt du 4 avril 2022, l'autorité de recours en matière pénale du canton de Neuchâtel a rejeté le recours formé contre la décision de mise en détention. Elle a refusé d'entendre B.________, qui avait déjà été entendue par le tribunal comme témoin. Elle a considéré que la décision attaquée était suffisamment motivée et que le condamné avait eu l'occasion de se prononcer sur son placement en détention. Une éventuelle violation du droit d'être entendu avait de toute façon pu être réparée en procédure de recours. Le recourant était père d'une fillette (fille C.________) qu'il était désormais autorisé à voir deux heures par quinzaine. En outre, il s'était remis en ménage avec B.________, laquelle avait un fils avec qui le recourant avait des liens étroits. En outre, son père et son frère vivaient en Suisse. Toutefois au vu de la peine et de la mesure d'expulsion prononcées en première instance, le risque de fuite était concret, le recourant ayant conservé des liens dans son pays d'origine. Le risque de récidive était aussi concret car l'expertise psychiatrique mettait en évidence la possibilité de violences sur des femmes qui lui seraient proches, le recourant s'étant montré inaccessible à un traitement. Le fait qu'il ait retrouvé du travail et se soit remis en ménage avec l'ex-plaignante n'était pas décisif. Le principe de la proportionnalité était respecté, aucune mesure de substitution n'entrant en considération.
C.
Agissant par la voie du recours en matière pénale, A.________ demande au Tribunal fédéral d'annuler l'arrêt cantonal et d'ordonner sa libération immédiate, subsidiairement moyennant des mesures de substitution (obligation de trouver ou de maintenir un emploi régulier, abstention de produits stupéfiants et excitants, obligation de suivre le groupe de parole du Service auteurs de violence conjugale - SAVC -, obligation de se soumettre à une assistance de probation). Il demande en outre l'assistance judiciaire.
La cour cantonale et le Ministère public se sont abstenus de toute observation sur le recours.
 
1.
Le recours en matière pénale est ouvert contre une décision relative à la détention pour des motifs de sûreté au sens des art. 212 ss CPP (ATF 137 IV 22 consid. 1). Selon l'art. 81 al. 1 let. a et let. b ch. 1 LTF, l'accusé, condamné en première instance et détenu, a qualité pour recourir. Pour le surplus, le recours a été formé en temps utile contre une décision rendue en dernière instance cantonale et les conclusions présentées sont recevables au regard de l'art. 107 al. 2 LTF. Partant, il y a lieu d'entrer en matière.
2.
Invoquant son droit d'être entendu ainsi que son droit à une audience (art. 29 al. 2 Cst. et 5 § 4 CEDH), le recourant estime que la cour cantonale ne pouvait pas renoncer à l'audition de B.________ au sujet de sa relation de couple avec le recourant et de son évolution positive depuis sa sortie de prison en juillet 2021. Lors de son audition aux débats, l'intéressée s'était prononcée sur la culpabilité du prévenu, mais pas sur sa dangerosité. La violation de son droit à la preuve n'aurait pas pu être réparée en seconde instance, la cour cantonale ayant retenu que le recourant était inaccessible à un traitement sans lui donner l'occasion de prouver le contraire.
2.1. Comme le relève la cour cantonale, la procédure de recours en matière pénale est écrite, comme le prévoit l'art. 397 al. 1 CPP (cf. également art. 390 al. 1 à 4 CPP). L'autorité de recours peut certes ordonner des débats, d'office ou à la demande d'une partie (art. 390 al. 5 CPP). Elle ne le fait toutefois qu'à titre exceptionnel, en particulier lorsque la procédure de première instance n'a pas satisfait aux exigences des art. 225 CPP, 31 al. 3 Cst. et 5 § 3 CEDH; ATF 137 IV 186 consid. 3.2; arrêts 1B_486/2018 du 22 novembre 2018 consid. 6.4; 1B_26/2021 du 8 février 2017 consid. 2.1). En l'occurrence, l'arrestation du recourant a été ordonnée à l'issue des débats de première instance. Le recourant a pu s'exprimer personnellement en audience sur la requête de mise en détention pour des motifs de sûreté présentée par le Ministère public. Cela satisfait aux exigences précitées, de sorte que la cour cantonale pouvait renoncer à des débats.
2.2. L'instance précédente pouvait également refuser d'entendre B.________ comme témoin dans la mesure où celle-ci s'était déjà exprimée lors des débats sur sa relation actuelle avec le recourant, précisant qu'il n'était pas un violeur, qu'il avait mis en place des stratégies pour éviter d'être violent, qu'il avait manifesté un "net changement" et n'avait plus d'épisodes de colère. Ces déclarations se rapportaient certes à la culpabilité du recourant, mais pouvaient également être pertinentes sous l'angle du risque de réitération. En outre, l'avocat du recourant a produit, en procédure de recours, une lettre circonstanciée de B.________, datée du 29 mars 2022, dans laquelle celle-ci s'exprime à nouveau et en détail sur sa relation avec le recourant. Dans ces conditions, la cour cantonale pouvait, au terme d'une appréciation anticipée des preuves, dénuée d'arbitraire (ATF 141 I 60 consid. 3.3; 136 I 229 consid. 5.3), considérer que le témoignage requis n'apporterait pas d'élément nouveau.
Par conséquent, le grief de violation du droit d'être entendu peut être rejeté.
3.
Sur le fond, le recourant conteste l'existence d'un risque de fuite. Il met en évidence les éléments suivants: il s'est battu pour exercer le droit de visite sur sa fille et perdrait tout en cas de fuite; il est très impliqué auprès de son père et de son frère malentendant; il n'a pas de relations dans son pays d'origine; il s'attendait dès le début de la procédure à une condamnation, puisqu'il avait admis les faits commis à l'encontre de B.________, à l'exception du viol pour lequel la plaignante a retiré ses accusations; les perspectives d'un acquittement sur ce point ne seraient pas nulles.
3.1. Selon la jurisprudence, le risque de fuite doit s'analyser en fonction d'un ensemble de critères tels que le caractère de l'intéressé, sa moralité, ses ressources, ses liens avec l'Etat qui le poursuit ainsi que ses contacts à l'étranger, qui font apparaître le risque de fuite non seulement possible mais également probable. La gravité de l'infraction ne peut pas, à elle seule, justifier la prolongation de la détention, même si elle permet souvent de présumer un danger de fuite en raison de l'importance de la peine dont le prévenu est menacé. Néanmoins, même si cela ne dispense pas de tenir compte de l'ensemble des circonstances pertinentes, la jurisprudence admet que lorsque le prévenu a été condamné en première instance à une peine importante, le risque d'un long séjour en prison apparaît plus concret que durant l'instruction (ATF 145 IV 503 consid. 2.2).
3.2. A l'issue de la procédure de première instance, le recourant a été condamné non seulement à une longue peine privative de liberté (44 mois, sous déduction d'à peine 4 mois de détention avant jugement), mais également à l'expulsion de Suisse pour une durée de cinq ans en application de l'art. 66 al. 1 let. h CP. Dès lors, même si le recourant peut faire valoir des liens familiaux étroits avec la Suisse, pays dans lequel il réside depuis plus de 20 ans, le maintien de ces relations apparaît compromis si, après l'exécution de la peine privative de liberté, il doit encore être éloigné de Suisse durant de nombreuses années. Sur le vu de cette perspective concrète et des relations que le recourant semble avoir gardées avec son pays d'origine (dont il parle la langue et où résident deux tantes et un oncle avec lesquels il entretenait des contacts téléphoniques), le risque de fuite est réel.
4.
Il en va de même du risque de réitération, en dépit des objections du recourant concernant la rétractation de la victime et la reprise de la vie commune avec celle-ci.
4.1. Pour admettre un tel risque au sens de l'art. 221 al. 1 let. c CPP, les infractions redoutées, tout comme les antécédents, doivent être des crimes ou des délits graves, en premier lieu les délits contre l'intégrité corporelle et sexuelle. En outre, il doit exister un pronostic défavorable reposant sur la fréquence et l'intensité des infractions poursuivies ainsi que sur les caractéristiques personnelles du prévenu (ATF 146 IV 326 consid. 3.1). Le risque de récidive peut se fonder sur les infractions faisant l'objet de la procédure pénale en cours, si le prévenu est fortement soupçonné de les avoir commises (ATF 143 IV 9 consid. 2.3.1).
4.2. Le recourant a été condamné pour avoir frappé B.________ à de multiples reprises à coups de poing et de pied, entre début 2019 et juillet 2020 (ce qu'il a admis), et de l'avoir menacée et violée le 31 juillet 2020 (ce qu'il conteste). Ces comportements, établis par les débats devant les juges du fond et désormais constatés dans le jugement de première instance, sont suffisamment graves pour permettre de retenir un risque de réitération. La cour cantonale s'est fondée à cet égard sur l'expertise psychiatrique du 13 novembre 2020 selon laquelle le recourant présentait un trouble de la personnalité de type dyssocial avec dépendance au cannabis et à la cocaïne et abus d'alcool réguliers. Il présentait un déficit émotionnel avec surcompensation par la colère dont la prise en charge diminuerait le risque de récidive. Celui-ci était qualifié d'élevé en raison du cumul de facteurs de risques. Les comportements de violence conjugale étaient fortement à craindre tant auprès de la plaignante qu'avec de nouvelles relations intimes. L'expert a encore précisé qu'un emploi permettait de structurer son quotidien et de donner une bonne image de lui, ce qui l'éloignait d'une trajectoire délinquante, ajoutant par la suite que les relations conflictuelles avec C.________ constituaient un risque supplémentaire de violences conjugales.
Rien ne permet à ce stade de supposer que la santé psychique du recourant se serait améliorée depuis la date de l'expertise. Comme cela ressort de l'arrêt attaqué, le SAVC a fait savoir au mois de mai 2021 qu'il n'avait pas été en mesure d'initier un réel travail avec le recourant, cet échec pouvant se reproduire avec toute autre injonction de soin relative à une prise en charge thérapeutique reposant sur la parole. Le recourant ne dit rien non plus sur le traitement actuel de ses addictions, alors qu'il a déjà été condamné par le passé pour des faits de violence en lien avec des infractions à la LStup. Contrairement à ce qu'il soutient, la reprise de la vie de couple avec la victime, certes apparemment de manière paisible pendant près de huit mois, ne vient pas amoindrir le risque de réitération. En effet, l'expertise précitée considère précisément que la persistance des sentiments amoureux à l'égard de la plaignante est "plutôt aggravante".
5.
Invoquant le principe de la proportionnalité, le recourant relève que des mesures de substitution ont été ordonnées avec succès durant l'instruction et que le verdict de culpabilité n'y changerait rien; il n'aurait aucune raison de s'en prendre à B.________ puisque celle-ci le disculpe. En outre, il a retrouvé du travail et renoué avec sa fille.
5.1. Conformément au principe de la proportionnalité ancré à l'art. 36 al. 3 Cst., il convient d'examiner les possibilités de mettre en oeuvre d'autres solutions moins dommageables que la détention. Cette exigence est concrétisée par l'art. 237 al. 1 CPP, qui prévoit que le tribunal compétent ordonne une ou plusieurs mesures moins sévères en lieu et place de la détention si ces mesures permettent d'atteindre le même but que la détention (ATF 145 IV 503 consid. 3.1).
5.2. Le recourant relève que sa mise en liberté, assortie de mesures de substitution, a été ordonnée "avec succès" durant l'instruction. Il méconnaît qu'aucun risque de fuite n'avait alors été retenu et qu'il s'agissait uniquement de prévenir le risque de récidive. Dès lors qu'un danger de fuite concret peut désormais être retenu, c'est avec raison que l'instance précédente a considéré qu'aucune mesure de substitution n'entrait en considération. La jurisprudence considère en effet qu'aucune mesure de substitution (dépôt des papiers d'identité, assignation à résidence assortie du port d'un bracelet électronique, obligation de se présenter) n'est suffisamment efficace pour prévenir un risque sérieux de départ à l'étranger ou d'entrée dans la clandestinité (arrêts 1B_158/2021 du 20 avril 2021 consid. 3.5; 1B_220/2020 du 26 mai 2020 consid. 5.2; cf. également ATF 145 IV 503 consid. 3.3.1). Il n'y a pas cela étant à s'interroger sur d'éventuelles mesures propres à pallier le risque de réitération.
Enfin, du point de vue temporel, compte tenu des infractions reprochées, de la peine prononcée en première instance et de la durée de la détention déjà subie, le principe de la proportionnalité demeure également respecté (art. 212 al. 3 CPP).
6.
Sur le vu de ce qui précède, le recours est rejeté. Le recourant a demandé l'octroi de l'assistance judiciaire et les conditions en sont réunies (art. 64 al. 1 LTF). Il y a lieu de désigner Me Olivier Bigler-de Mooij en tant qu'avocat d'office du recourant pour la procédure fédérale et de lui allouer une indemnité à titre d'honoraires, qui seront supportés par la caisse du Tribunal fédéral. Il n'est pas perçu de frais judiciaires (art. 64 al. 1 LTF), ni alloué de dépens (art. 68 al. 3 LTF).
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
 
1.
 
Le recours est rejeté.
 
2.
 
La demande d'assistance judiciaire est admise. Me Olivier Bigler-de Mooij est désigné comme avocat d'office du recourant et une indemnité de 1'500 fr. lui est allouée à titre d'honoraires, à payer par la Caisse du Tribunal fédéral. Il n'est pas perçu de frais judiciaires.
 
3.
 
Le présent arrêt est communiqué au mandataire du recourant, au Ministère public de la République et canton de Neuchâtel et au Tribunal cantonal de la République et canton de Neuchâtel, Autorité de recours en matière pénale.
 
Lausanne, le 20 mai 2022
 
Au nom de la Ire Cour de droit public
 
du Tribunal fédéral suisse
 
Le Président : Kneubühler
 
Le Greffier : Kurz