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BGer 6B_480/2022 vom 22.06.2022
 
Tribunal fédéral
 
Tribunale federale
 
Tribunal federal
 
[img]
 
 
6B_480/2022
 
 
Arrêt du 22 juin 2022
 
 
Cour de droit pénal
 
Composition
 
Mme et MM. les Juges fédéraux
 
Jacquemoud-Rossari, Présidente, Denys et Hurni.
 
Greffier : M. Vallat.
 
 
Participants à la procédure
 
A.________,
 
représenté par Me Gwenaël Ponsart, avocat,
 
recourant,
 
contre
 
1. Parquet général du canton de Berne,
 
Nordring 8, case postale, 3001 Berne,
 
2. Direction de la sécurité du canton de Berne, Kramgasse 20, 3011 Berne,
 
intimés.
 
Objet
 
Mise en exécution de la mesure d'internement et
 
de placement; expertise,
 
recours contre la décision de la Cour suprême du canton de Berne, 2e Chambre pénale, du 11 mars 2022
 
(SK 21 604).
 
 
Faits :
 
A.
A.________ a été condamné à différentes peines privatives de liberté pour lesquelles il s'est trouvé en exécution depuis le 3 février 1985. Il s'est évadé ou n'est pas rentré de sorties accordées à huit reprises, pendant un total de 781 jours. Par jugement du 30 juin 2006, respectivement du 22 janvier 2008, la Cour suprême du canton de Berne a ordonné son internement. La fin de l'exécution des peines devant être atteinte le 8 août 2021, une procédure tendant à déterminer si les conditions d'un traitement thérapeutique institutionnel sont réunies au sens de l'art. 64b al. 1 let. b CP a été ouverte en décembre 2020 par la Section de la probation et de l'exécution des sanctions pénales (SPESP) du canton de Berne. Dans ce cadre, cette autorité a mandaté le professeur B.________, spécialiste FMH en psychiatrie et psychothérapie, pour effectuer une nouvelle expertise forensique psychiatrique de A.________. La SPESP a, en outre, saisi la Commission consultative de libération conditionnelle et d'examen de la dangerosité (CLCED). Par décision du 21 juillet 2021, la SPESP a décidé que la mesure d'internement ordonnée allait être mise en exécution à la fin de la peine privative de liberté échéant le 21 août 2021, le début de la mesure d'internement étant fixé au 8 août 2021. Elle a notamment rejeté, dans ce contexte, la demande de l'intéressé de pouvoir être soumis à un expert indépendant avant qu'une décision ne soit prise à son sujet.
Par décision du 25 octobre 2021, la Direction de la sécurité du canton de Berne, saisie par A.________, a rejeté, autant qu'il était recevable, le recours de ce dernier.
B.
Par décision du 11 mars 2022, la 2e Chambre pénale de la Cour suprême du canton de Berne a rejeté le recours interjeté par A.________ contre la décision du 25 octobre 2021.
C.
Par acte du 7 avril 2022, A.________ recourt en matière pénale au Tribunal fédéral contre la décision du 11 mars 2022. Il conclut, avec suite de frais et dépens des instances cantonales et fédérale, principalement à la réforme de la décision de dernière instance cantonale en ce sens que soit ordonnée la mise en oeuvre d'une expertise indépendante au sens de l'art. 56 al. 4 CP puis une nouvelle audition d'une commission au sens de l'art. 62d al. 2 CP, qu'il soit ensuite renoncé à la mise en exécution de l'internement et que sa libération immédiate, subsidiairement une mesure thérapeutique institutionnelle, soit ordonnée. A titre subsidiaire, il demande l'annulation de la décision entreprise et le renvoi de la cause à l'autorité de première instance (encore plus subsidiairement à l'autorité précédente) afin qu'elle rende une nouvelle décision au sens des considérants, soit notamment qu'elle ordonne la mise en oeuvre d'une expertise indépendante et qu'elle procède à une nouvelle audition d'une commission au sens de l'art. 62d al. 2 CP. Il requiert par ailleurs l'octroi de l'effet suspensif et le bénéfice de l'assistance judiciaire.
 
1.
Conformément à l'art. 64b CP, l'autorité compétente examine, d'office ou sur demande, au moins une fois tous les deux ans et pour la première fois avant le début de l'internement, si les conditions d'un traitement thérapeutique institutionnel sont réunies et qu'une demande en ce sens doit être faite auprès du juge compétent (al. 1 let. b). Elle prend la décision selon l'al. 1 en se fondant sur un rapport de la direction de l'établissement (let. a), une expertise indépendante au sens de l'art. 56 al. 4 (let. b), l'audition d'une commission au sens de l'art. 62d al. 2 CP (let. c) ainsi que l'audition de l'auteur (let. d).
1.1. Conformément aux art. 30 al. 1 Cst. et 6 par. 1 CEDH, toute personne dont la cause doit être portée devant un juge peut notamment prétendre à ce que celui-ci soit compétent, indépendant et impartial. L'art. 29 al. 1 Cst. garantit au justiciable une protection équivalente à celle de l'art. 30 al. 1 Cst. s'agissant des exigences d'impartialité et d'indépendance requises d'un expert (ATF 141 IV 178 consid. 3.2.2).
1.2. De manière générale, en matière pénale, ces principes sont codifiés par l'art. 56 CPP (applicable aux experts par le renvoi de l'art. 183 al. 3 CPP), qui prévoit que toute personne exerçant une fonction au sein d'une autorité pénale est tenue de se récuser, en particulier, lorsqu'elle a un intérêt personnel dans l'affaire (let. a), lorsqu'elle a agi à un autre titre dans la même cause, en particulier comme membre d'une autorité, conseil juridique d'une partie, expert ou témoin (let. b) ou encore lorsque d'autres motifs que ceux énoncés aux lettres a à e de la même disposition, notamment un rapport d'amitié étroit ou d'inimitié avec une partie ou son conseil juridique, sont de nature à la rendre suspecte de prévention (let. f). La loi bernoise sur la procédure et la juridiction administratives du 23 mai 1989 (LPJA/BE; RS/BE 155.21), appliquée par la cour cantonale, énonce les mêmes principes (art. 9 al. 1 LPJA/BE). Le recourant ne tente pas de démontrer que ces règles de droit cantonal, dont le Tribunal fédéral ne contrôle l'application que sous l'angle de l'arbitraire (art. 9 Cst.), lui conféreraient une protection plus étendue que le droit fédéral. Il n'y a pas lieu d'examiner la cause sous cet angle (art. 106 al. 2 LTF).
1.3. L'art. 56 let. f CPP a la portée d'une clause générale recouvrant tous les motifs de récusation non expressément prévus aux lettres précédentes de cet article (ATF 143 IV 69 consid. 3.2). Les parties à une procédure ont donc le droit d'exiger la récusation d'un expert dont la situation ou le comportement sont de nature à faire naître un doute sur son impartialité. Cette garantie tend notamment à éviter que des circonstances extérieures à la cause puissent influencer une appréciation en faveur ou au détriment d'une partie. Elle n'impose pas la récusation seulement lorsqu'une prévention effective de l'expert est établie, car une disposition interne de sa part ne peut guère être prouvée. Il suffit que les circonstances donnent l'apparence de la prévention et fassent redouter une activité partiale de sa part. Seules les circonstances constatées objectivement doivent être prises en considération. Les impressions purement individuelles d'une des parties au procès ne sont pas décisives (ATF 143 IV 69 consid. 3.2; arrêts 1B_338/2021 du 23 novembre 2021 consid. 2.1; 1B_647/2020 du 20 mai 2021 consid. 3.1).
1.4. Dans le domaine des mesures pénales, les exigences d'indépendance et d'impartialité de l'expert sont, en outre, énoncées par l'art. 56 al. 4 CP, aux termes duquel si l'auteur a commis une infraction au sens de l'art. 64 al. 1, l'expertise doit être réalisée par un expert qui n'a pas traité l'auteur ni ne s'en est occupé d'une quelconque manière. Comme cela ressort sans ambiguïté des textes allemand et italien de la norme (
1.5. En l'espèce, il est constant que le professeur B.________, spécialiste FMH en psychiatrie et psychothérapie, dont le recourant ne discute pas les qualifications professionnelles, a établi le 29 avril 2019 une expertise psychiatrique concernant le recourant, dans le cadre de la procédure d'examen de sa libération conditionnelle. Ce même spécialiste a, ensuite, été appelé à se prononcer, avant le début de l'exécution de l'internement, sur la possibilité d'y substituer une mesure thérapeutique institutionnelle (art. 64b al. 1 let. b CP), ce qu'il a fait dans son rapport du 17 mars 2021, sur lequel se base, notamment, la décision de dernière instance cantonale objet du présent recours. Selon le recourant, cet expert ne répondrait pas aux exigences d'indépendance élevées posées par l'art. 56 al. 4 CP.
Le recourant soutient, en se référant à un auteur (MARIANNE HEER, in Basler Kommentar Strafprozessordnung, 2e éd. 2014, no 31 ad art. 183 CPP), que le fait d'avoir été " pré-saisi " de la même affaire, respectivement consulté sur la même question ou des questions très similaires, engendrerait le risque que des attentes soient projetées dans les questions posées et que les réponses apportées soient interprétées en ce sens. Cela plaiderait en faveur de l'absence de l'indépendance requise. En se référant au même auteur et à la jurisprudence du Tribunal fédéral, il soutient qu'il s'imposerait, en cas de mesure d'internement de longue durée, de recourir à un psychiatre qui ne se serait pas du tout occupé du cas auparavant. Il relève aussi que la partialité de l'expert peut être mise en évidence par l'appréciation d'éléments tels que le contenu de l'expertise, la méthode choisie ou les relations avec la personne expertisée.
1.6. Le recourant perd tout d'abord de vue que les arrêts publiés aux ATF 128 IV 241 consid. 3.2 et 121 IV 1 consid. 2, auxquels il se réfère, ont été rendus avant l'entrée en vigueur de l'art. 56 al. 4 CP. Il apparaît ainsi hasardeux de tirer de ces deux décisions des conclusions sur l'interprétation d'une norme qui a été élaborée après elles. Du reste, le premier arrêt a plutôt trait à la délimitation des cas dans lesquels la décision peut être prise sur la base d'un simple rapport médical émanant d'un praticien impliqué dans la thérapie de l'intéressé et c'est sous cet angle que s'y réfère l'auteur auquel renvoie le recourant (HEER,
1.7. Il résulte déjà de ce qui précède que la seule circonstance que l'expert B.________ avait, précédemment, déjà conduit une expertise du recourant dans le cadre de l'examen de sa libération conditionnelle ne suffisait pas à exclure,
1.8. Le recourant soutient ensuite que l'expert était, en l'espèce, appelé à répondre à des questions identiques ou très similaires à celles objet du rapport qu'il avait établi en 2019 et qu'il avait fondé sa nouvelle expertise sur les seuls éléments présents au dossier, parmi lesquels figurait sa propre expertise. Selon lui, ce second rapport ne constituerait qu'un vaste copié-collé du premier. Les dés auraient ainsi été pipés et le résultat de la nouvelle expertise connu d'avance. Il souligne à ce propos que l'expertise de 2019 faisait déjà état d' " une stabilité relativement impressionnante d'un point de vue diagnostique chez cet expertisé ". Il en ressortait aussi que l' " analyse du risque de récidive n'a[vait] montré aucune évolution depuis 2015 en faveur d'une réduction du risque de récidive ou du potentiel de dangerosité de l'expertisé, ni en lien à [sa] personnalité (trouble de la personnalité dyssociale et [...] psychopathie) ni concernant les délits ", que " Ces distorsions cognitives et les (autres) éléments de la psychopathie cré[aient] un amalgame qui rend[ait] une thérapie impossible [...] après plus de 35 ans, l'exigence d'une thérapie [était] irréaliste ", que " la personnalité de l'expertisé n'[avait] pas changé [mais] sembl[ait] plutôt s'être consolidée et rigidifiée ", que " le potentiel de dangerosité et le risque de récidive n'[avait] pas changé depuis 2015 " et qu' " une prise en charge thérapeutique ne [pouvait] être envisagée ". Enfin, l'expertise de 2019 indiquait déjà que " Pour diminuer ce risque de récidive, la collaboration et la participation de l'expertisé [étaient] indispensable[s], mais elles [étaient] absentes jusqu'à aujourd'hui, et cela depuis 1985 ".
Contrairement à ce qu'affirme le recourant, même si certaines questions, singulièrement celle du diagnostic, étaient nécessairement communes aux deux analyses, les objets respectifs des deux expertises n'étaient d'emblée pas identiques et le second rapport ne saurait être réduit à un simple copié-collé du premier. Il s'agissait en effet, au stade de la libération conditionnelle de l'internement, d'établir un pronostic sur la conduite en liberté de l'intéressé (art. 64a al. 1 CP) et de déterminer, dans le cadre de l'art. 64b al. 1 let. b CP, s'il était à prévoir qu'une mesure institutionnelle pourrait le détourner de nouvelles infractions en relation avec un grave trouble mental. S'il est vrai que, dans l'hypothèse la plus favorable au recourant, une réponse sous forme de pronostic positif à la première question aurait rendu sans objet la seconde interrogation, inversement, une réponse négative à la première question n'impliquait, de toute évidence, pas une réponse négative à la seconde. Quant aux réponses apportées par le spécialiste, il ressort sans ambiguïté du second rapport que celui-ci se fonde sur des éléments postérieurs au premier, ainsi, en particulier, des rapports médicaux C.________ (du 27 septembre 2019) et D.________ (des 24 septembre et 12 novembre 2020), du préavis de la Commission spécialisée du canton du Jura concernant l'examen de la libération conditionnelle en date du 7 juin 2019, du rapport d'exécution des peines du 9 mars 2021 ainsi que du comportement du recourant lors de l'entretien du 10 février 2021, auquel il a refusé de participer. Le nouveau rapport d'expertise, qui procède d'une étude actualisée, souligne également la tendance du recourant à la manipulation, qui semble singulièrement accrue, en lien avec ses plaintes somatiques, les résultats de l'expertise neurologique effectuée et les démarches entreprises en vue d'examens ophtalmologiques et radiologiques (rapport d'expertise, p. 55 ss).
Cela suffit à écarter le reproche d'avoir opéré un simple " copié-collé " du précédent rapport. Ces développements du recourant ne sont donc pas de nature à mettre objectivement en évidence une apparence de prévention de l'expert.
2.
Pour le surplus, le recourant a refusé de participer à l'expertise, comme il l'avait déjà fait notamment, en tout ou partie, lors des précédentes expertises (v. notamment rapport d'expertise psychiatrique E.________/F.________ du 20 avril 2005, p. 62; rapport d'expertise psychiatrique G.________ du 26 septembre 2011, p. 5; rapport d'expertise psychiatrique H.________ du 26 mai 2015, p. 35; v. aussi la recension des autres expertises opérée par le docteur B.________ dans son rapport du 17 mars 2021: p. 17 s. adexpertise psychiatrique I.________/J.________ du 23 juin 1989, p. 22 adexpertise F.________ du 18 août 2010, p. 29 adexpertise psychiatrique K.________ du 28 septembre 2020). Compte tenu de cette absence presque totale de collaboration, le recourant ne peut sérieusement se plaindre que l'expertise en discussion en l'espèce aurait été réalisée sur la base des rapports antérieurs. Il suffit dès lors de rappeler, sur un plan général, que, dans la règle, le fait qu'un expert a pu prendre connaissance des rapports de prédécesseurs ne conduit, de toute manière, pas à douter de son indépendance (arrêt 1B_414/2012 du 20 septembre 2012 consid. 2.4; BABIC, op. cit., p. 191) et qu'en ce qui concerne spécialement l'expertise psychiatrique judiciaire, on attend de l'expert qu'il développe particulièrement les antécédents spécifiques et médico-légaux, en tant qu'éléments anamnestiques susceptibles de nourrir sa propre discussion (FONJALLAZ/GASSER, Le juge et le psychiatre, 2017, p. 131 et 137). Enfin, comme l'a relevé la cour cantonale, le diagnostic de personnalité dyssociale a été posé par tous les experts qui se sont penchés sur le cas du recourant depuis 2005 tout au moins et tous ces spécialistes ont jugé l'intéressé tout au moins difficilement accessible, si ce n'est inaccessible, à un traitement, en soulignant le risque, lié au trouble de la personnalité, d'une feinte collaboration à une telle démarche (v. les recensions des expertises précédentes opérées par le Dr H.________ dans son rapport d'expertise du 26 mai 2015, p. 39 ss puis par l'expert B.________, p. 15 ss). Considérée objectivement, l'appréciation portée par ce dernier spécialiste dans le cadre de l'examen de la libération conditionnelle quant au diagnostic, aux possibilités de traitement et au risque de récidive du recourant, ne suffit manifestement pas non plus à faire naître le soupçon qu'il aurait été prévenu au moment d'établir le rapport en discussion dans la présente procédure.
3.
Le recours doit être rejeté. Il était dépourvu de chances de succès, ce qui conduit au refus de l'assistance judiciaire (art. 64 al. 1 LTF). Le recourant supporte les frais de la procédure, qui seront fixés en tenant compte de sa situation, qui n'apparaît pas favorable (art. 65 al. 2 et 66 al. 1 LTF). La demande d'effet suspensif est sans objet.
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
 
1.
 
Le recours est rejeté.
 
2.
 
L'assistance judiciaire est refusée.
 
3.
 
Les frais judiciaires, arrêtés à 1200 fr., sont mis à la charge du recourant.
 
4.
 
Le présent arrêt est communiqué aux parties et à la Cour suprême du canton de Berne, 2e Chambre pénale.
 
Lausanne, le 22 juin 2022
 
Au nom de la Cour de droit pénal
 
du Tribunal fédéral suisse
 
La Présidente : Jacquemoud-Rossari
 
Le Greffier : Vallat